Alors que la menace terroriste émanant de groupes takfiristes se précise, sur fond de guerre en Syrie et d’engagement assumé du Hezbollah chiite aux côtés du régime alaouite, les Libanais s’inquiètent d’une fitna confessionnelle au Liban. L’Etat tente de réagir aux menaces, au coup par coup. Les forces politiques chiites anticipent.
L’Armée libanaise choisit, en dépit des critiques qu’elle essuie de la part d’une classe politique sunnite qui voit sa base échapper de plus en plus à son contrôle, de désamorcer la crise à Tripoli, afin d’empêcher une fitna confessionnelle au nord, non loin de la Syrie. L’Armée commence par investir Jabal Mohsen, ou tout au moins les lignes de démarcation tenues par les combattants alaouites, afin de pouvoir légitimer son action ultérieure contre les djihadistes sunnites armés. Cela semble être le plan, un plan dont le succès est très incertain. Mais son objectif est d’empêcher que les takfiristes, surtout ceux qui fuient les combats à Qussayr que contrôlent désormais les forces de Bachar el-Assad et du Hezbollah, ne s’installent indéfiniment dans le paysage tripolitain, et ne transforment un conflit initialement politique en fitna confessionnelle. Les autorités libanaises agissent ainsi partout où elles peuvent, sans prendre le risque, encore aujourd’hui, de provoquer la communauté sunnite chez qui le réflexe communautaire joue automatiquement…
Pour leurs parts, les forces politiques chiites tentent de sanctuariser leurs régions, et de mieux les contrôler, afin d’empêcher l’infiltration de takfiristes sunnites venus de Syrie, et pour accentuer la pression sur les groupes radicaux salafistes sunnites de tendance djihadiste, dans la Béqaa (Arsal, etc.), à Saïda (Ahmad el-Assir, Jamaa Islamiya, etc.), et surtout dans les camps palestiniens (notamment à Aïn el-Héloué où se serait enfui un des responsables des récents tirs de roquettes contre la banlieue sud de Beyrouth). Les appels lancés au djihad contre le Hezbollah, y compris au Liban, par les salafistes djihadistes de Jordanie (qui sont entendus dans les camps palestiniens) ou par Youssef al-Qardaoui (al-Jazeera, Qatar), et les menaces proférées ouvertement par l’Armée Libre de Syrie et Jabhat al-Nusra (crédibilisées par les accrochages de Baalbeck avec le Hezbollah) de porter la guerre au Liban, justifient la vigilance accrue du Hezbollah et du mouvement Amal dans leurs régions, y compris et surtout le sud-Liban (où le facteur israélien joue naturellement beaucoup).
Pour le moment, il ne semble pas y avoir une unanimité au sein de l’Opposition syrienne armée d’ouvrir un front interne au Liban. Trois raisons à cela : (i) les Américains mettraient la pression sur l’ALS pour éviter une escalade au Liban; (ii) l’ALS redoute une récupération rapide de la scène anti-Hezbollah au Liban par Jabhat al-Nusra ; (iii) la communauté sunnite libanaise et son sponsor saoudien y voient un risque intenable pour leurs intérêts au Liban. Pour autant, rien n’empêche Jobhat el-Nosra, ou les autres groupes takfiristes, ou encore des djihadistes freelancers, de mener de nouvelles attaques contre les régions chiites, ou contre le Hezbollah, Amal ou leur leadership (ou aussi contre les figures sunnites ou chrétiennes gravitant dans l’orbite du Hezbollah: comme la tentative d’assassinat contre le cheikh sunnite Maher Hammoud à Saïda).
Le Hezbollah et Amal sont donc de plus en plus vigilants, et tendent à renforcer encore plus les mesures de sécurité dans leurs régions, surtout au sud-Liban (mais pas seulement au sud-Liban, et pas seulement au Liban d’ailleurs) pour contrer la menace takfiriste. Un autre “7 mai” (coup de force du Hezbollah et de ses alliés le 07/05/08, pour étouffer la contestation jugée dangereuse alors, du camp du 14 Mars), revu et corrigé. Localisé, plus subtil, mais trop risqué aussi.