Golfe – Yémen: Début d’ingérences du Qatar dans le pré carré saoudien

A travers les décennies, il y a eu au(x) Yémen des ingérences extérieures utiles pour les ambitions saoudiennes, et des interventions frustrantes pour les Al Saoud. Les Anglais qui délimitaient les frontières de la Péninsule arabique, Nasser qui tentait d’exporter son nationalisme révolutionnaire par la porte yéménite, les Soviétiques qui consolidaient le mur de la Guerre froide entre les deux Yémen, les Iraniens qui surfent sur la vague chiite pour avancer en terres arabes et en direction de la Mer Rouge, al-Qaëda qui exploite la défaillance générale de l’Etat central pour poursuivre son djihad global, les Américains qui réagissent militairement à la triple menace de l’Etat défaillant, d’al-Qaëda et de l’Iran, le Conseil de coopération du Golfe, la Ligue arabe et l’ONU qui s’invitent pour espérer éviter le scénario catastrophe au Yémen, les multinationales qui lorgnent sur le potentiel énergétique largement sous-exploité dans ce pays. Aujourd’hui, le Qatar s’intéresse au Yémen, non sans inquiéter l’Arabie saoudite.

En effet, il y a quelques signaux, encore faibles aujourd’hui, mais qui laissent supposer que le Yémen intéresse de plus en plus le Qatar, et que la progression du petit émirat sur la scène yéménite se ferait, quelque part, au détriment de l’Arabie saoudite. Ainsi, le dossier yéménite, autrefois secondaire aux yeux des dirigeants qataris, surtout lorsqu’il constituait une priorité absolue pour Riyad, est géré désormais directement par le palais et par l’étoile montante du régime le prince héritier Tamim Ben Hamad Al Thani. En effet, le fils de Hamad Ben Khalifa Al Tahni, imposé au poste de PH par sa très puissante mère cheikha Mozah Al Massnad, épouse favorite de l’Emir, s’implique personnellement dans le dossier yéménite, officiellement sous deux angles : celui du CCG qui pilote l’initiative politique qui a permis le départ du Président Ali Abdullah Saleh, et celui de l’ONU dont Tamim recevait le 15/05 à Doha l’envoyé spécial au Yémen Jamal Ben Omar. Le Qatar, dont les ambitions sont clairement globales, et les intérêts et placements multiformes et polyvalents, ne pouvait ignorer le Yémen et ses potentiels.

En s’intéressant au Yémen, on a tendance à voir, surtout actuellement, son potentiel déstabilisateur pour l’Arabie saoudite, la Corne de l’Afrique, le trafic maritime international, etc. Ses vrais potentiels, géopolitiques et économiques, sont étouffés par le chaos ambiant. Le Qatar voit les deux aspects, et y voit, pour son rayonnement, de réelles opportunités. Ses ingérences, gazodollars à l’appui, permettent au Qatar de gagner en influence sur la scène régionale et internationale en pesant sur les évolutions au Yémen. L’émirat, qui possède d’impressionnants outils d’influence autres que l’outil financier, notamment la propagande médiatique et des alliances politiques d’une grande subtilité, entend devenir un acteur géopolitique au Yémen, au même titre que la très puissante et très visible Arabie saoudite, et peut-être aussi sans les mêmes risques que ceux encourus par les Al Saoud…

Les relations entre Saoudiens et Yéménites ont évolué en dents de scie depuis la fondation du royaume wahhabite. Elles connaissent, à nouveau aujourd’hui, des tensions à divers niveaux, y compris avec le pouvoir central que Riyad a contribué à installer à Sanaa dans l’espoir de débloquer une situation politique et sécuritaire dangereuse, et avec les autres factions politiques du pays, y compris et surtout les rebelles Houthis dont on ne cesse d’affirmer les liens avec l’Iran et ses services de sécurité. Le Qatar peut profiter de la précarité des rapports entre Riyad et Sanaa pour accroître son rôle sur la scène yéménite, au sein du CCG, de la Ligue arabe et de l’ONU, et à travers une multitude d’actions, dont le déblocage des aides économiques promises au Yémen. Le petit émirat pourrait exploiter les tensions qui renaissent aujourd’hui entre les Al Saoud et les Houthis sur fond de revendications territoriales (les Houthis ne reconnaissent pas les accords signés en 1990 par Saleh et Riyad sur les zones frontalières cédées au royaume), plusieurs années après la guerre que les Saoudiens ont gagnée de justesse face à des rebelles désorganisés et sous-équipés alors, pour jouer les intermédiaires (d’autant que cela signifie des contacts avec l’Iran aussi)… Un autre paradoxe mérite d’être relevé également : le Qatar est en mesure aujourd’hui de récupérer les Frères Musulmans et les organisations politiques de tendance FM autrefois sponsorisés par les Saoudiens au Yémen pour contrer alors, occasionnellement, l’ex-Président zaïdite Ali Abdullah Saleh… Ses relations, excellentes avec l’organisation des FM et avec le pouvoir égyptien actuel, lui ouvrent ainsi les portes des filiales locales des FM au Yémen… Même avec al-Qaëda qui cible ouvertement les Saoudiens au Yémen et à partir de ce pays, le Qatar pourrait se trouver un rôle qui valoriserait son positionnement à Sanaa aux yeux des alliés américains…

Le Qatar, qui a agi pour une intervention militaire internationale contre le colonel Moammar Kadhafi en Libye, et qui a tenté de freiner l’action française et extérieure contre al-Qaëda au Mali, met tout son poids aujourd’hui pour engager la communauté internationale dans une guerre contre le régime de Bachar el-Assad en Syrie. Sur la scène syrienne, comme ailleurs, le Qatar choisit d’éviter, généralement, la confrontation ouverte avec l’Arabie saoudite. En Syrie, et en dépit de sérieuses divergences avec les Saoudiens sur le poids relatif des FM dans le pouvoir en recomposition et en dépit d’autres dossiers divergents avec Riyad, le Qatar choisit de cohabiter avec l’Arabie saoudite pour garder le cap et atteindre l’objectif ultime à ses yeux et aux yeux du royaume, entendre le remplacement du régime alaouite pro-iranien par un régime sunnite sorti du camp iranien. Au Yémen, le Qatar pourrait finir par trouver les dénominateurs qu’il a en commun avec l’Arabie saoudite, pour les mettre en avant et occulter les divergences avec les Al Saoud sur ce dossier. Il ne manquerait pas, au passage, de chatouiller les Al Saoud, et de les provoquer même, ne serait-ce qu’en se mesurant à eux dans ce que Riyad pensait être redevenue sa chasse gardée…

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