La France, qui dispose du deuxième réseau diplomatique du monde derrière les Etats-Unis, possède des moyens humains et technologiques conséquents pour prétendre figurer parmi les premières puissances internationales du monde du renseignement. Cela est surtout vrai sur la zone du Moyen-Orient. C’est pourtant, sur cette même zone, proche géographiquement et historiquement de l’Europe et de la France, que les intérêts français sont le plus menacés, alors que le monde arabo-musulman vit une instabilité dangereuse. L’attentat, le 23/04, contre l’Ambassade de France à Tripoli, après l’agression contre le consulat des Etats-Unis à Benghazi quelques mois auparavant, illustre bien cette menace grandissante contre les intérêts français, y compris dans un pays arabe “libéré” par les soins des Français eux-mêmes…
Cela est parfaitement cohérent. L’instabilité du monde arabo-musulman, la proximité géographique et historique entre la France et les pays arabes, l’implication directe de Paris dans les affaires régionales, sans parler de la globalisation des menaces émanant de la zone, expliquent la mise en œuvre par les Français d’autant de moyens de renseignements pour espérer mieux anticiper les évolutions. Les succès sont nombreux, même s’ils restent le plus souvent discrets, et les échecs rares, mais retentissants.
Rares sont les pays arabes où les intérêts français n’ont pas été directement visés par des agressions terroristes au cours des trois dernières décennies. Les tensions ne cessent de croître, et l’implication de la France dans les affaires régionales aussi. Les moyens mis en œuvre par les Français pour anticiper l’évolution des menaces doivent accompagner cette hausse des tensions et cette implication française croissante sur la zone. L’arrivée d’un arabisant, Bernard Bajolet, expert de la zone, à la tête de la DGSE, peut s’inscrire dans ce cadre. Pourtant, il suffit de constater que rien n’a pu empêcher une attaque terroriste contre l’Ambassade de France à Tripoli, le 23/04, alors que tous les paramètres laissent supposer une hausse de l’insécurité à travers le pays, une incapacité évidente des autorités libyennes à assurer un contrôle minimal de la situation y compris dans la capitale et les grandes villes, une recrudescence des menaces contre les intérêts occidentaux et français avec l’implication frontale de la France dans tous les conflits et les enjeux de la zone.
Les services de renseignements français sont certainement très informés, voire surinformés, grâce à des moyens humains (HUMINT) et technologiques (SIGINT) adaptés. Leurs capacités d’analyses peuvent être performantes, avec les compétences et les spécialisations mises à leur disposition. Les dysfonctionnements existent, y compris au niveau des experts sollicités et qui sont surtout basés à Paris, loin de la zone de turbulence… Des dysfonctionnements existent, certainement aussi, avec le risque de voir les autorités politiques négliger les moyens humains au profit des moyens technologiques, ou sous-estimer l’importance cruciale d’une parfaite synergie entre les services eux-mêmes et entre ces services et leurs interlocuteurs politiques à Paris. Un rééquilibrage s’imposerait, à ces divers niveaux, afin de redonner ses droits au facteur humain, dans la collecte, l’analyse et la diffusion du renseignement, et pour qu’une totale synergie soit retrouvée entre les divers acteurs du renseignement français y compris son hiérarchie militaire et politique.
L’instabilité ne fera que croître dans le monde arabe, et la visibilité de la France aussi. Cela se traduira, forcément, par des menaces grandissantes à l’égard des intérêts français dans le monde arabe. La protection de ces intérêts passe aussi, et avant tout, par l’anticipation des menaces et par une meilleure rationalisation des moyens de collectes du renseignement. Et surtout, par une meilleure adaptation des moyens d’analyses et de prises de décision. D’ailleurs, il serait utile de commencer par questionner les grands calculs politiques stratégiques qui engagent la France sur la zone, hier en Libye et aujourd’hui en Syrie, pour ne pas répercuter toute la responsabilité des échecs sur les seuls services de renseignements français…