Selon les standards universels, le régime des Assad est incontestablement une dictature. A la tête de ce régime, un dictateur, longtemps toléré, de père en fils. Depuis la mort de Hafez el-Assad, deux Présidents français, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ont cru au potentiel démocratique de Bachar el-Assad. Chirac a cautionné, avec ses amitiés saoudo-libanaises et sous un parapluie américain grand ouvert au-dessus de Damas, l’occupation syrienne du Liban, mettant entre parenthèses la souveraineté libanaise. Les choses ont évolué, dramatiquement, avec l’exacerbation des tensions saoudo-iraniennes et l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Cela n’a pas empêché le successeur de Chirac, Nicolas Sarkozy, d’inviter Bachar el-Assad aux cérémonies du 14 Juillet. L’hôte de marque de l’Elysée devient par la suite l’ennemi numéro un de la France au Levant.
Pour se limiter au seul cas de la Syrie, et éviter de s’étendre sur les cas de l’Irak, de la Libye, de la Tunisie, on peut, légitimement, se demander, pourquoi se trompe-t-on autant sur des dossiers aussi stratégiques?! On ne s’étendra pas non plus sur les cas des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne ou encore de l’Italie, mais les erreurs de la France, ou ses revirements brusques et même violents, méritent d’être questionnées. Aujourd’hui, la France a, sur le dossier levantin, trois grandes priorités immédiates: éviter l’émergence d’Etats défaillants, préserver la souveraineté des Etats, et encourager la démocratie dans ces Etats. Plus de deux ans après le début de la guerre en Syrie, ce pays vit un effondrement général de l’Etat et de ses institutions, et risque de devenir, à coups d’ingérences extérieures et devant cette radicalisation poussée d’une partie de la société locale, un Etat défaillant. La “somalisation” de la Syrie est à craindre, sérieusement. Les ingérences extérieures, directes ou indirectes, assumées ou sournoises, violent la souveraineté de la Syrie, d’autant qu’elles prépareraient une possible intervention coalisée contre Damas. La violation de la souveraineté de la Syrie est légitimée par le drame humain. Un cas classique d’interventionnisme extérieur. Quant aux espoirs démocratiques de l’après-Assad, on ne peut qu’en douter, ne serait-ce qu’en pensant aux alternatives les plus probables ou aussi aux modèles politiques des sponsors régionaux des groupes les plus influents de l’Opposition syrienne.
Les erreurs d’appréciations de la France envers la Syrie, pour se limiter encore une fois à ce seul cas, sont évidentes. Les réajustements des stratégies sont utiles, pour espérer pouvoir respecter ces trois grands principes que la France défend au Levant : éviter les Etats défaillants, préserver la souveraineté des Etats et encourager de vrais modèles démocratiques. Avec l’accumulation des erreurs de jugements, le renversement de la tendance paraît difficile ou même improbable. Mais il n’est pas trop tard, encore, de remettre en avant ces trois grands principes. Pour pouvoir garder le cap, et espérer éviter la “somalisation” de la Syrie, faire l’économie d’une intervention militaire extérieure aux conséquences incertaines, et éviter aussi le remplacement d’une dictature laïque, mais une dictature, par une autre, islamiste, mais une dictature aussi…
Si “somalisation” il y a, il faut espérer que cela ne sera pas long et irrévocable. Si invasion extérieure il y a, il faut l’espérer brève et concluante. Si démocratisation il y a, il faut miser sur un processus rapide. Rien n’est moins sûr pour le moment. Seuls les compromis, lorsque le temps des compromis aurait sonné, permettraient de débloquer la situation en Syrie. Deux ans de violence, des destructions en dizaines de milliards de dollars, 70.000 morts et des millions de déplacés, et le compte n’est toujours pas bon.