Tous les lundis, le quotidien libanais francophone L’Orient-Le Jour publie une rubrique « Quatre questions à… », pour faire le point sur différents sujets d’actualité. Le Lundi 8 avril, Mona Sukkarieh, de Middle East Strategic Perspectives, a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour. Elle a relevé, qu’au moment où Israël annonce le début de l’exploitation de son gisement gazier de Tamar, les déconvenues politiques au Liban, avec la démission du gouvernement Mikati, viennent jeter le doute sur la capacité des autorités libanaises à respecter les calendriers établis, et notamment la tenue de la première série d’attribution de licences d’exploration dans les délais. Pour autant, MESP estime que l’instabilité politique qui fait croître le risque pays et qui pourrait entamer la confiance des investisseurs et affecter la bonne marche des programmes gouvernementaux, ne remettra pas en question le processus lié à l’exploitation du gaz et du pétrole. Car, en effet, ce processus reste, avant tout, un processus de moyen et de long terme, qui répond à des impératifs stratégiques qui dépassent le seul cadre politique libano-libanais.
Quatre questions à… Mona E. Sukkarieh, cofondatrice de Middle East Strategic Perspectives
Par Marisol Rifai, L’Orient le Jour.
Israël a annoncé il y a deux semaines qu’il recevait ses premières livraisons de gaz offshore. Quand le Liban pourra-t-il en dire autant, sachant que le ministre de l’Énergie Gebran Bassil avait annoncé depuis peu que le forage débuterait fin 2015 ?
Le champ gazier de Tamar, découvert en 2009, a pu être exploité par Israël en l’espace de quatre ans. L’État hébreu, qui dépendait largement de l’étranger, et des Égyptiens en particulier jusqu’à 2012, pour ses approvisionnements énergétiques fait ainsi un pas important vers l’indépendance énergétique. Un objectif que le Liban, qui dépense environ 15 % de son PIB dans l’importation de carburant, souhaiterait aussi atteindre dans les prochaines années. L’accès à des ressources locales – et donc moins chères – permettrait de réduire considérablement les dépenses dans ce secteur et de les orienter vers d’autres secteurs (notamment les infrastructures). Mais, contrairement à Israël (qui a découvert et exploité plusieurs autres champs gaziers – plus modestes que Tamar et le Léviathan – depuis le début des années 2000), le Liban est au tout début de son aventure gazière. Le ministre de l’Énergie et de l’Eau Gebran Bassil a lancé mi-février la phase de qualification pour les compagnies intéressées par l’exploration dans les eaux territoriales, et, selon le ministre, la première opération de forage aura lieu fin 2015. C’est un délai ambitieux, qu’il serait objectivement difficile de respecter. Il faut s’attendre à ce que cette phase d’exploration s’étale sur au moins 4 ou 5 ans. Bref, la production de gaz local ne devrait pas commencer avant 2020.
Quelles sont les prochaines étapes concrètes dans le processus de sélection des compagnies pétrolières ?
La phase de qualification, lancée le 15 février 2013, a pris fin le 28 mars. Cinquante-deux compagnies de 25 pays ont présenté leur dossier. Parmi ces compagnies on retrouve certains des plus grands noms de l’industrie : le géant français Total, les américains ExxonMobil, Chevron et Anadarko, le norvégien Statoil, l’italien ENI, le coréen KOGAS, le néerlandais Shell, etc. La liste des compagnies qualifiées sera annoncée le 18 avril, date à partir de laquelle le processus s’accélère et devient plus complexe. Ces compagnies auront 6 mois, à partir du 2 mai 2013, pour présenter leur offre, et la signature des contrats est prévue en février 2014. Sauf que la démission du gouvernement du Premier ministre Nagib Mikati, avant l’adoption de deux décrets essentiels pour l’organisation de l’appel d’offres (un décret définissant les blocs offshore et leurs coordonnées, et un autre approuvant le contrat d’exploration et de production), laisse planer le doute sur la tenue de cette première série d’attribution de licences d’exploration dans les délais, à moins qu’un déblocage politique rapide ne relance le dossier.
On parle de beaucoup d’estimations concernant les réserves du Liban en gaz et pétrole : que valent ces chiffres ? Qu’en est-il en réalité ?
Les études sismiques montrent qu’il y aurait 25 trillions de pieds cubes (trillion cubic feet) de gaz naturel au large des côtes du sud du Liban. Et selon le dernier rapport de Beicip-Franlab, il y aurait entre 440 et 675 millions de barils de pétrole et 15 trillions de pieds cubes de gaz naturel au large des côtes du nord du Liban. Un total de 40 TPC de gaz placerait le Liban au même niveau que l’Ukraine ou le sultanat d’Oman. Bien sûr, tout cela ne peut être confirmé qu’après les opérations de forage. Il faut garder à l’esprit que la quantité de gaz ou de pétrole qui se trouve dans les fonds sous-marins, celle qui est techniquement récupérable, est différente de celle qui est commercialement exploitable. Les chiffres ont tendance à diminuer d’une catégorie à l’autre.
Quel est l’impact des divisions politiques locales sur le choix et/ou la rapidité du processus de forage ?
Le risque pays croît en fonction de l’instabilité politique, sociale et sécuritaire. Cela affecte forcément la confiance dans le pays et influe directement sur la bonne marche des grands programmes gouvernementaux. Le secteur du gaz n’échappe pas à cette tendance, et les processus liés à l’exploitation du potentiel gazier du Liban risquent d’être quelque peu retardés. Le pire scénario qu’on pourrait redouter serait une remise à plat de l’ensemble des stratégies établies. Pour autant, il s’agit de processus de moyen et de long terme lesquels, s’ils sont ralentis par des contraintes politiques, ne seront nullement remis en question. Dans l’immédiat, et quelle que soit l’issue du blocage ministériel, on doit espérer qu’une volonté politique nationale impose le respect des engagements pris par les autorités libanaises dans ce domaine, et que des signaux soient rapidement adressés par la prochaine équipe ministérielle pour rassurer sur la continuité du processus engagé.