La position de l’Iran et du Hezbollah à l’égard du régime syrien de Bachar el-Assad est inchangée, encore aujourd’hui. Celle de l’Arabie saoudite aussi. En effet, deux ans après le début du soulèvement, l’Iran et le Hezbollah maintiennent leurs aides à Damas, encouragés par le déploiement du parapluie sino-russe au-dessus du régime alaouite, alors que l’Arabie saoudite, et une coalition régionale et internationale hétéroclite, continuent d’agir activement pour provoquer le renversement du Président Assad. Cela n’empêche guère les Iraniens et le Hezbollah de se préparer à l’éventualité d’une chute du régime, en repensant leur positionnement au Liban notamment. Cela n’empêche pas non plus les Saoudiens de se repositionner au Liban, d’où ils s’étaient repliés sous les coups du camp syro-iranien, en attendant la recomposition du pouvoir à Damas et, surtout, les grands arrangements russo-américains sur le dossier syrien et levantin.
Au Liban, l’Iran, qui perd ses relais syriens, maintient son influence grâce au Hezbollah. Le parti chiite pro-iranien réévalue son positionnement national, en intégrant dans ses calculs ses alliances au sein de sa communauté (le mouvement chiite Amal) et au-delà (le Courant Patriotique Libre, chrétien) et ses autres points forts (légitimité de la résistance, armement, cohésion du système, etc.), et en tenant compte aussi de nombreux paramètres négatifs: clivages confessionnels, fragilisation de ses alliances sunnites et palestiniennes, perte des relais syriens, pressions sur l’axe syro-iranien. Cela se traduit par un repli politique, tactique, et par un certain recul, nécessaire pour une meilleure évaluation des changements en cours.
L’effritement de l’influence syrienne au Liban, et l’incapacité évidente de l’axe irano-Hezbollah à remplir le vide laissé par la perte de l’allié syrien, encouragent l’Arabie saoudite à revenir sur la scène libanaise, une scène qu’elle n’a pas vraiment quittée mais où le royaume s’était fait plus discret que d’ordinaire.
Avec la Syrie, et sous la supervision de la communauté internationale, l’Arabie saoudite s’était longtemps partagé la direction du Liban, dans le cadre d’arrangements pragmatiques qui préservaient les intérêts des deux parties et de leurs relais. Les évènements qui se sont succédés, depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri jusqu’au début du soulèvement en Syrie, en passant par la guerre de 2006 avec Israël, ont déstabilisé ces arrangements, avant qu’ils ne s’effondrent totalement. L’Arabie saoudite se repliait, ouvrant la voie au Qatar de faire son entrée en scène, jusqu’à compléter les accords syro-saoudiens de Taëf par ceux, saoudo-iraniens, de Doha. Les divergences saoudo-qataries sur la Syrie et sur l’après-Assad, le forcing turc et celui des Frères Musulmans en direction de Damas, la retenue dont fait preuve le Hezbollah au Liban, voire son affaiblissement attendu, et la condamnation, politique, du régime alaouite syrien par les alliés internationaux de Riyad, ont vite fait de provoquer un retour en force des Saoudiens sur la scène libanaise. Un retour progressif, pragmatique, et prudent, sur une scène où les Saoudiens doivent encore organiser et gérer une cohabitation qui ne sera pas de tout repos, avec l’axe irano-Hezbollah.
Le chef des Renseignements saoudiens le prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz, qui semble avoir arraché le dossier syro-libanais au vice-Ministre des Affaires étrangères le prince Abdulaziz Ben Abdullah, sécurité nationale oblige, pensait même le moment propice à une contre-offensive brutale sur la scène libanaise, en proposant de nommer comme Premier ministre le DG sortant des Forces de Sécurité Intérieure le général Achraf Rifi, principal relais de l’appareil sécuritaire saoudien au Liban. La nomination à ce poste, à Riyad avant Beyrouth, du député Tammam Salam, suppose que la voie pragmatique, à Riyad et à Beyrouth, l’a finalement emporté sur le courant radical qu’incarne Bandar Ben Sultan. Ce dernier doit penser à une erreur de timing qui l’a empêché d’ouvrir, dès maintenant et avant la chute de Damas, la bataille de Beyrouth. Ses partenaires dans ce jeu extrême, notamment le chef druze Walid Joumblatt, doivent penser que le moment est surtout à la stabilisation de la scène libanaise et non à la provocation.
Le Hezbollah retrouve Joumblatt dans cette initiative, et tous deux vont, ensemble, à la rencontre du camp sunnite pro-saoudien et du Courant du Futur au sein duquel la tendance pragmatique (l’ex-Premier ministre et chef du bloc parlementaire du Courant du Futur Fouad Siniora, basé à Beyrouth) a pris le dessus sur la tendance radicale (l’ex-Premier ministre et du chef du Courant du Futur Saad Hariri, basé à Riyad, et tombé sous la coupe de Bandar Ben Sultan). Au sein du Hezbollah, un courant pragmatique, dominant, a permis de parvenir à ce nouveau compromis.
De tels arrangements interlibanais, encouragés par des parties régionales (Arabie saoudite, Iran), ont une durée de vie très limitée. Ils ont besoin d’être consolidés pour garantir une stabilité durable. Aujourd’hui, cela semble plus qu’incertain, d’autant que les garanties internationales manquent toujours, et que les évolutions syriennes (les conséquences de la guerre sont imprévisibles, et ses implications sur le Liban tout autant) et régionales (tensions saoudo-iraniennes sur fond de tensions géopolitiques et confessionnelles) mettent une pression intenable sur de tels arrangements informels et par définition précaires. Le Liban est condamné à attendre, comme la Syrie, l’heure des grandes manœuvres russo-américaines.