Le député libanais Walid Joumblatt a su rester, malgré des vents contraires, un des principaux acteurs de la vie politique nationale. C’est, dit-on, le “faiseur de roi”. Il est, en tout cas, pour le moment, et grâce à une acrobatie arithmétique peu cartésienne, un des artisans de ces arrangements qui permettent au Premier ministre démissionnaire Najib Mikati d’être le candidat le plus sérieux à sa propre succession [FLASH: Liban: Mikati: briser le statuquo pour rester dans le jeu politique]. Dans sa quête de nouveaux compromis acceptables par les diverses parties qui comptent dans la politique libanaise, Joumblatt propose de confier à Mikati la constitution d’un gouvernement composé de… technocrates. On cherche ainsi à gagner en neutralité politique, avec une certaine technicité, afin d’éviter les embarras constitutionnels à plus d’un niveau.
Pour cet ensemble politique, pour le moins opportuniste, qui se crée autour de Mikati et de Joumblatt, et qui s’efforce de se présenter comme centriste, il s’agit de faire passer le temps, en attendant les évolutions régionales, entendre en Syrie, tout en restant dans le jeu politique national. Mikati et Joumblatt veulent organiser un tour de table, bien marqué politiquement comme tout le monde au Liban, afin de constituer un gouvernement présenté comme neutre et centriste. La formule récurrente de “gouvernement de technocrates” resurgit, comme à chaque blocage gouvernemental. MESP avait dénoncé cette mise en scène politicienne lors de précédentes échéances, comme en octobre et novembre derniers, dans une tribune libre publiée dans L’Orient-Le Jour (09/11/12) et sur www.Libnanews.com (27/10/12), et intitulée : “Dessine moi un technocrate”.
Ce n’est pas tant la “menace” d’un gouvernement de technocrates que brandit une classe politique aux abois qui inquiète. Mais c’est surtout cette monopolisation méprisante de la chose publique par des hommes politiques qui ont prouvé leur incapacité à réellement gouverner ou à piloter un gouvernement ou un ministère. Les technocrates supposés jouent le jeu, portés par une ambition politique sournoise, jusqu’à retourner, le moment venu, leur veste. Il s’agit de technocrates “double-face”, technocrates pour entrer en politique, tout comme leurs sponsors, ces nouveaux centristes de la politique…
Dessine moi un technocrate…
Avant chaque échéance gouvernementale, les hommes politiques brandissent la « menace » d’un gouvernement de « technocrates ». Une classe politique qui concède, hypothétiquement, son monopole sur la vie publique et sur le présent et l’avenir de tout un peuple dont elle a gâché le passé, et qui menace les Libanais de confier des responsabilités techniques à des techniciens! En cas de blocage politique, nous nous dirigeons, nous menacent-ils à chaque fois, vers un gouvernement de technocrates. Par défaut.
Au Liban, l’homme public (ou la femme publique) venu aux affaires par un concours de circonstances pour le moins hasardeux et opportuniste, parachuté en politique par accident ou par hérédité, incompétent lui-même par définition, « menace » les Libanais de laisser faire, pour une fois, des experts et des spécialistes. L’expérience récente montre en tout cas que même un outsider de la politique, dès qu’il rentre dans le moule, perd sa technicité et devient homme/femme politique. Et la déception est d’autant plus grande, que les espoirs d’une évolution positive du système sont légitimes…
Un rapide screening laisse supposer que les faux « technocrates » des dernières années, qui ont aussitôt revêtu l’uniforme de l’homme politique pédant et stérile, sont de vrais losers dans leurs spécialisations d’origine… Souvent donc, un mauvais juriste fait un bon ministre, un médecin peu porté sur la médecine devient un bon député, un homme d’affaires en perte de vitesse trouve dans la politique un regain d’activités…
Les Libanais méritent pourtant de bons et authentiques technocrates. Ils existent. Mais la classe politique n’a besoin d’eux que pour remplir les secondes rangées… Aussi, faut-il le préciser, un technocrate est, par définition, « un responsable qui exerce un pouvoir politique en faisant prévaloir les aspects techniques ». C’est un « haut fonctionnaire qui utilise ses compétences techniques pour acquérir et exercer un pouvoir politique ». Il n’est jamais loin de la politique, c’est vrai. Mais, au Liban, il a tendance à se jeter, très vite, dans les bras d’une classe politique décadente, surtout lorsqu’il s’agit d’un vrai-faux technocrate, celui dont le dictionnaire dit qu’il porte un sens « souvent péjoratif ».