Ceux qui connaissent Naijb Mikati, savent pertinemment que sa démission ne pouvait se faire sur un coup de tête, et qu’elle est une décision programmée à l’avance et réfléchie. L’affaire du DG des Forces de Sécurité Intérieure, le général Achraf Rifi, ne serait que le prétexte pour un scénario préalablement établi et bien rôdé. La psychologie du personnage le prive de cette capacité, peu commune, il faut le reconnaître, chez les hommes politiques libanais, à prendre de grandes décisions, lors d’échéances cruciales. Il est incapable de prendre la décision de démissionner, à chaud, seul, sans assistance extérieure. Ceux qui connaissent Mikati savent que son mécanisme de prise de décision est collégial, même s’il est intime, familial et clanique.
La décision de démissionner, annoncée à l’issue d’un conseil des ministres houleux et avec le tapage médiatique que l’ont sait pour espérer les retombées politiques voulues, était déjà prise avant la tenue de la réunion du Conseil des ministres au palais présidentiel de Baabda ce vendredi 22/03. Elle a été prise à trois, ou à quatre, dans l’intimité d’un salon privé, quelques jours auparavant. Le scénario a été élaboré, afin d’entretenir le suspens, et pour en tirer le maximum, politiquement. Par ce geste, Mikati espère-t-il anticiper sa dépréciation politique qui s’annonçait, pour se rendre à nouveau indispensable auprès de la majorité parlementaire, et auprès de l’axe syro-Hezbollah? Aurait-il agi ainsi dans l’espoir de rester dans le jeu politique dans l’hypothèse d’arrangements régionaux sur la Syrie?
Deux raisonnements peuvent, en effet, éclairer sa décision de démissionner : soit qu’il comprend que le bras de fer entre les deux axes opposés sur la scène syrienne se radicalise et pousse le camp libanais du 8 Mars à un coup de force préventif pour inaugurer une véritable contre-attaque au Liban contre le camp du 14 Mars, soit qu’il anticipe des arrangements entre les deux axes qui s’affrontent sur la scène syrienne et qui se traduiraient par des compromis politiques interlibanais. En provoquant ce changement brutal et inattendu, et qui accentue une pression déjà trop forte sur la stabilité interne au Liban, Mikati chercherait à éviter de faire lui-même les frais d’une confrontation violente ouverte entre les deux axes opposés sur la Syrie et au Liban, ou d’être évincé du jeu politique par des arrangements régionaux qui prépareraient le retour aux affaires du Courant du Futur pro-saoudien.
Dans tous les cas, en n’agissant pas, Mikati savait qu’il ne pouvait pas tenir indéfiniment dans cette posture inconfortable, surtout si le statuquo qui le maintenait au gouvernement venait à être brisé, dans un sens ou dans l’autre. Il a anticipé, et a lui-même brisé le statuquo. Un jeu risqué, pour le Liban.