Les Syriens accueillis au Liban seraient près d’un million. La communauté internationale débloque des aides, encore dérisoires, pour répondre aux besoins urgents des réfugiés. Les bailleurs de fonds arabes et internationaux, réunis quelques semaines plus tôt au Koweït, se sont engagés à fournir des aides, annoncées comme consistantes, pour aider les autorités libanaises à gérer l’afflux massif de réfugiés syriens, qui se poursuit à un rythme alarmant. Les pays arabes du Golfe, principaux donateurs potentiels, tardent à débloquer leurs aides au Liban, et tergiversent encore pour accentuer la pression sur le gouvernement libanais dont ils exigent son adhésion à leur politique anti-Assad. On n’est pas loin du chantage, alors que les pétromonarchies arabes du Golfe intensifient leurs pressions sur le gouvernement du Premier ministre Najib Mikati, dominé par le Hezbollah chiite pro-iranien et ses alliés, pour le contraindre à renoncer à sa “neutralité” vis à vis du conflit syrien et à rejoindre le front anti-Syrien.
La présence de centaines de milliers de réfugiés, démunis pour la plupart et désœuvrés, et de centaines de milliers de Palestiniens entassés dans des camps qui accueillent des dizaines de milliers de nouveaux venus des camps de Syrie, constitue un fardeau lourd à porter pour les Libanais, pour le gouvernement, ses structures sociales et économiques, et pour ses institutions sécuritaires et militaires. On est à la limite de l’implosion, situation que l’Union Européenne et les partenaires occidentaux sous-estiment encore aujourd’hui, alors que les pays arabes du Golfe le savent parfaitement. Ces derniers font de la politique en cherchant à faire fléchir les autorités libanaises, et négligent quelque peu la dimension humanitaire. Les Européens et les Occidentaux font de l’humanitaire, en exigeant aux Libanais d’accueillir ces populations à hauts risques, et négligent parfois la dimension politique et sécuritaire.
Middle East Strategic Perspectives s’était intéressé au problème des réfugiés syriens depuis plusieurs mois, pour mettre en garde contre les incohérences des responsables libanais autour de ce dossier délicat et contre ses implications sur la cohésion nationale et sur les équilibres internes précaires. En décembre dernier, MESP publiait une analyse intitulée: “Réfugiés de Syrie: Les Libanais divisés“, qui est toujours d’actualité et qui mérite d’être méditée alors que la crise des réfugiés s’aggrave:
Liban: Réfugiés de Syrie: les Libanais divisés
Les Libanais ont le sens de l’hospitalité et sont traditionnellement accueillants. C’est indéniable. Il y a l’histoire, la géographie, la culture, et l’humanisme… Il y a aussi la géopolitique. Jusque-là, tout semble dans l’ordre normal des choses. Sauf que la politique, celle qui combinera, de manière opportuniste dans le cas libanais, la géographie et la politique, détourne toujours cette tendance naturelle des Libanais vers l’accueil des exilés de force ou de grè et autres demandeurs d’asile.
L’histoire, pourtant très récente, se reproduit aujourd’hui, sous nos yeux et sous les yeux du monde entier et des représentants de l’ONU. Une nouvelle fois, les frontières géographiques et politiques tombent, au risque de briser le semblant d’équilibre démographique au Liban, au nom de considérations géopolitiques pressantes. Les réfugiés syriens, qu’un pays aussi vaste que la Turquie ne veut plus accueillir, et les réfugiés palestiniens du Yarmouk, qu’un pays aussi proche que la Jordanie rejette aujourd’hui, affluent en masse vers le seul pays voisin de la Syrie qui a renoncé, une nouvelle fois, à sa souveraineté. Derrière les encouragements, voire les pressions, de l’ONU, de la communauté internationale, et des droits de l’hommiste, on comprend une volonté de profiter de la mollesse des autorités libanaises et de la complexité politico-confessionnelle pour épargner aux autres voisins de la Syrie le poids de ces transferts massifs de populations à haut risque.
Le Liban est un pays composé de trois minorités confessionnelles, les Sunnites, les Chiites et les Chrétiens, ou de 17 confessions, ou d’une minorité chrétienne et d’une majorité musulmane. C’est selon. Dans les trois cas de figure, le Liban reste un pays diversifié culturellement, ce qui est une exception en soi dans son environnement. Et c’est justement cette diversité, qui offre un modèle sociopolitique différent aux pays arabes à dominance musulmane et en état d’islamisation avancée, que le Liban est en train de perdre aujourd’hui, avec cette dernière poussée démographique venue de Syrie.
La radicalisation a finalement touché la société musulmane qu’on pensait différente. L’environnement culturel du modèle libanais a pu retarder cette radicalisation, quelques courtes décennies, avant que la communauté chiite ne soit rattrapée par la révolution khomeiniste en Iran et que la communauté sunnite ne commence à s’imprégner de wahhabisme saoudo-qatari, de salafisme, et de djihadisme… Les rivalités confessionnelles, entre Sunnites et Chiites, sur fond d’enjeux géopolitiques, ne font qu’attiser cette tendance à la radicalisation des populations musulmanes devenues trop perméables aux doctrines et aux enseignements venus d’horizons lointains, culturellement… Le noyau dur politique de la communauté chiite libanaise gravite autour du Hezbollah, qui prône une tendance pure et dure de l’islam chiite, alors que les populations sunnites au Liban, qu’ils soient Libanais, Palestiniens, Syriens ou encore Egyptiens, ont tendance de plus en plus à se tourner vers les doctrines salafistes, wahhabites, et celles prônées par les Frères Musulmans.
Il s’agit de tendances, faciles à observer, et non d’une généralisation sur l’ensemble des musulmans libanais. Mais il fallait le signaler ainsi afin que soient mieux cernées et comprises les craintes et appréhensions des minorités, religieuses (Chrétiens), confessionnelles (Druzes ; Alaouites), ethniques (Arméniens), “culturelles” (laïcs, libéraux).
En effet, les centaines de milliers de réfugiés, de déplacés et d’immigrés, aujourd’hui installés “provisoirement” au Liban, importent avec eux, nécessairement, leurs problèmes, certains aussi leurs richesses et un apport utile à divers niveaux. Mais, s’il faut regarder les choses en face, il faut reconnaître que ces populations, qui ont brisé les équilibres restant, risquent d’être très vite instrumentalisées pour servir des intérêts de tous genres, ceux de puissances extérieures, mais aussi et y compris les intérêts politiques et politiciens des Libanais eux-mêmes.
Il y a ceux qui, tout en redoutant l’afflux massif de populations sunnites, espèrent monnayer politiquement leur approbation. Il y a ceux qui ne manqueront pas d’exploiter ce dossier pour légitimer leurs argumentations (projet de fédération) et faire jouer les réflexes minoritaires afin de ressouder leurs bases. Il y a ceux qui peuvent y voir un projet politique, avec un transfert organisé de populations sunnites et palestiniennes vers le Liban (contrer le chiisme politique pro-iranien; implantation des Palestiniens). Il y a ceux qui y voient une contribution au projet politique en Syrie (renversement du régime alaouite). Etc.
Les Libanais sont unanimes à vouloir aider ces populations déplacées, sur le plan humain, même si l’histoire ne doit pas les y encourager particulièrement… Surtout que les autres voisins de la Syrie, qui ont tous beaucoup plus de capacités à tous les niveaux, n’en font pas autant… Ils sont unanimes à penser que ces nouveaux réfugiés, qui se joignent à ceux déjà entassés dans des camps depuis des décennies ou répartis à travers le pays, affecteront les équilibres démographiques, sociaux, politiques, déjà précaires et dangereusement instables. Ils sont tous aussi, quelque part, convaincus qu’ils pourront en tirer parti aussi… Cela est surtout valable pour la classe politique dirigeante, celle-là même qui ne pense qu’au court terme et qui ne voit que l’arbre qui cache la forêt… Plus tard, les Libanais seront à nouveau unis pour regretter, ensemble et unanimement, d’avoir accepté, une nouvelle fois, de faire des concessions sur ce qui est censé les regrouper, à savoir la nation libanaise et la souveraineté du Liban, pour quelques gains politiques illusoires.