Fadi Assaf.
Le Qatar, très francophile sous le règne de l’Emir Khalifa Ben Hamad Al Thani, a su maintenir des relations très étroites avec Paris, avec l’arrivée au pouvoir à Doha, par un coup d’Etat en juin 1995, de l’Emir Hamad Ben Khalifa Al Thani. La France, qui a construit patiemment ses relations avec le Qatar en édifiant sa toile d’alliances dans le Golfe, a su, elle aussi, préserver ces relations devenues stratégiques, indépendamment du pouvoir en place à Paris. La diversification des relations internationales du Qatar, suivie par l’Emir Hamad Ben Khalifa Al Thani, sous l’impulsion de son Ministre des Affaires étrangères le vice-Premier ministre cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al Thani, a relativisé le poids du partenaire français parmi le cercle d’amis occidentaux de Doha. Les intérêts stratégiques que la France possède, dans le Golfe, avec d’autres pétromonarchies, notamment les Emirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite, libèrent Paris d’un tête-à-tête, qui serait contraignant, avec Doha. Les relations franco-qataries sont, aujourd’hui, stratégiques, et équilibrées, dans leur sens le plus large. Elles s’inscrivent dans un schéma gagnant-gagnant.
Pourtant, et en dépit des arrangements stratégiques entre Paris et Doha, et de la proximité des classes dirigeantes des deux pays, une certaine susceptibilité est perceptible, des deux côtés. Français et Qataris ne se comprennent pas toujours, sur tout, et la communication entre eux n’est pas toujours optimale. Cela crée forcément des malentendus, et attise la susceptibilité entre les deux pays. Cela n’affecte pas, encore aujourd’hui, les rapports stratégiques que les deux pays entretiennent. Mais, Paris et Doha cohabitent depuis peu sur des scènes nouvelles, et voient évoluer le cadre de leurs relations bilatérales de manière inédite. Cela n’est pas sans risque.
A Doha, la présence française est bien ancrée, sur les plans militaire, économique et maintenant, culturel. Mais, la place qu’occupe la France au Qatar est tout sauf un choix national, qatari. C’est un choix personnel. De quelques personnes : l’Emir Hamad Ben Khalifa Al Thani, le vice-PM MAE cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al Thani, la deuxième épouse de l’Emir, la très influente cheikha Moza Al Massnad, et le Prince héritier cheikh Tamim Ben Hamad Ben Khalifa Al Thani. C’est un choix politique, pragmatique, et intéressé. Mais c’est aussi un caprice, quelque part. La part de la France dans le gâteau qatari est à la discrétion de ces quelques personnes.
A Paris, les relations avec le Qatar répondent à des impératifs politiques, économiques, militaires, etc., et s’inscrivent dans un cadre démocratique, national, même si, les relations privées et personnelles entre dirigeants et responsables politiques français, actuels ou anciens, et des personnalités qataries, constituent des faits établis. Les fondements de la politique qatarie de la France, indépendamment du pouvoir à Paris, sont solides, même s’ils comprennent une petite part de personnalisation et de subjectivité. Les fondements de la politique française du Qatar sont fragilisés, d’un point de vue occidental et démocratique, par une trop forte personnalisation et par une absence de légitimité nationale.
En France, l’opinion publique peut donc, et malgré des arguments politiques solides en faveur de relations toujours plus fortes avec le Qatar, débattre avec sa classe politique de la pertinence de certains choix pris par Paris pour satisfaire son allié qatari : ouverture des entreprises stratégiques françaises aux Fonds souverains qataris, adhésion de la France aux vues politiques des Al Thani (Syrie, etc.). Au Qatar, pays au système politique anti-démocratique, “l’opinion publique” est le seul fait de l’équipe régnante.
Ainsi, la démocratie en France et la liberté d’expression, “tolérées” de manière pragmatique et à la carte par les dirigeants qataris, peuvent finir par affecter les relations bilatérales, en affectant l’image du Qatar en France et en influençant les choix politiques français. L’intérêt que portent à ce petit pays gazier du Golfe, de plus en plus, les médias, la classe politique, la communauté des affaires, et, aussi, les populations arabes et musulmanes de France, reflète un certain décalage sur le Qatar entre les grandes orientations stratégiques des autorités et les Français.
Les interférences se multiplient sur la voie Paris-Doha, avec une compétition qui peut venir d’autres axes franco-arabes (Paris-Abu Dhabi, Paris-Riyad, etc.), des divergences politiques sur des dossiers communs (soutien aux Frères Musulmans, ingérences qataries dans les affaires internes françaises, etc.), des ralentissements au niveau de programmes économiques ou militaires stratégiques, etc. Cela se traduit, forcément, par une susceptibilité grandissante entre les deux pays, entre des Français qui devancent parfois leurs dirigeants dans leur vigilance à l’égard de cette trop grande implication qatarie en France, et des dirigeants qataris qui dictent toujours leurs visions à leurs sujets jusqu’à leur inculquer leurs propres sentiments à l’égard de la France et des Français.
Les médias, journalistes et autres experts parisiens, sont des acteurs essentiels du jeu démocratique à la française, et contribuent ainsi à la construction de l’image du partenaire qatari auprès de l’opinion française. L’agressivité du Qatar, en France et pas seulement, semble avoir provoqué chez eux un sursaut “national”, et accru leur vigilance à l’égard des relations franco-qataries qu’ils commencent à juger suspectes et parfois contraignantes. Les avis d’experts en ce sens se multiplient depuis peu en France, et les articles de presse et reportages sur le “risque Qatar” sont abondants.
Deux livres, à paraître prochainement à Paris, vont contribuer à alimenter la polémique autour des relations franco-qataries, au cours des prochaines semaines : le livre du journaliste Nicolas Beau, intitulé “Le vilain petit Qatar”, et qui est annoncé pour avril prochain (aux éditions Fayard), et le livre de deux grands reporters, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, qui paraîtra avant (courant mars), et qui a pour titre “Qatar : les secrets du coffre-fort” (aux éditions Michel Lafon). Dans l’ouvrage de Chesnot et Malbrunot, dont MESP a lu des extraits, il sera question du jeu du pouvoir à Doha, des politiques extérieures de l’émirat, de la French connection… On y apprend que “le Qatar, à défaut d’élargir ses frontières pour consolider sa puissance, a choisi de se créer un empire, sans armes, sans guerre, en achetant le monde!” Mais, qui a dit que la France est à vendre?!