Fadi Assaf.
Il faut un miracle pour que la stabilité du Liban puisse encore être préservée. On craint pour la stabilité politique, avec le risque de faire sauter les prochaines élections législatives. La stabilité sociale, avec le risque d’un embrasement du front social sur fond de revendications qui se radicalisent et qui poussent à la confrontation dans la rue entre le gouvernement, dominé par le patronat, et une classe ouvrière aux abois. Mais c’est surtout la sécurité qui fait craindre le pire aux Libanais actuellement.
L’Armée Syrienne Libre est de plus en plus active au Liban, où Jabhat al-Nusra s’installe aussi à la faveur d’une radicalisation poussée du clivage confessionnel. Le Hezbollah est de plus en plus engagé en Syrie, ce qui lui vaut les menaces directes de l’ASL de viser ses cadres et ses combattants en Syrie, dans les régions frontalières et de porter même le conflit jusqu’au fief de l’organisation chiite à Beyrouth. La militarisation des zones frontalières au nord, où les accrochages se multiplient entre les deux camps, alors que l’afflux massif de réfugiés syriens provoque des bouleversements démographiques dramatiques surtout dans les régions du nord du Liban et dans la Béqaa, inquiète les chancelleries et place désormais la sécurisation de la frontière libano-syrienne sur la liste des dossiers prioritaires. Des aides techniques et opérationnelles sont débloquées en urgence pour aider l’Armée libanaise à assurer un meilleur contrôle de cette frontière, comme le programme britannique visant à édifier quatre tours de surveillance dotées de caméras de vision nocturne sur des sites jugés sensibles à cette frontière. Cela peut aider, mais le mal est fait.
Le discours politique et confessionnel prôné par les courants salafistes radicaux, à Tripoli, Majdel Anjar, Saïda et ailleurs, s’appuie désormais sur des moyens militaires dont se dote la communauté sunnite soutenue par des combattants Syriens et Palestiniens, présents au Liban ou venus récemment de Syrie. Le Hezbollah, qui est la cible d’une propagande sans précédent et d’une hostilité grandissante au sein des milieux sunnites, toutes tendances politiques et religieuses confondues, refuse, encore aujourd’hui, de réagir, sur le terrain. Même si, plusieurs signaux laissent craindre une opération préventive qui étoufferait dans l’œuf la fitna qui s’annonce dans la région stratégique pour la résistance anti-israélienne qui est celle de Saïda et de ses alentours…
La partie n’est pas gagnée pour le Hezbollah qui a face à lui désormais une union sunnite sacrée, renforcée par la guerre en Syrie, par le discours unificateur d’une classe militante particulièrement dynamique, par des moyens financiers et logistiques obtenus de soutiens arabes et islamiques, par une fitna qui se généralise dans l’ensemble du monde arabo-musulman sur fond de compétitions géopolitiques. Surtout, le Hezbollah, organisation chiite pro-iranienne engagée aux côtés des Pasdarans dans la défense du régime alaouite de Bachar el-Assad, a face à lui aujourd’hui de véritables milices sunnites armées, aguerries sur le front syrien et bénéficiant de l’expérience de djihadistes transfrontaliers qui se sont installés dernièrement au nord du Liban et dans le camp palestinien d’Aïn el-Héloué au sud.
L’Armée libanaise est visée par une campagne de dénigrement orchestrée par les milieux salafistes et tolérée, pour ne pas dire encouragée, par une classe politique sunnite opportuniste. Elle réussit encore aujourd’hui, plus ou moins, à imposer le calme sur le terrain, mais son autorité est de plus en plus contestée, et sa cohésion risque d’être ébranlée. Pour l’instant donc, l’Armée reste la seule garantie pour éviter un basculement violent dans une guerre confessionnelle. L’autre garantie semble être le pragmatisme du Hezbollah qui tient à ne pas perdre la boussole dans ce contexte délicat, et à éviter d’être détourné de ses engagements stratégiques. Une autre garantie aussi serait la vigilance de la communauté internationale. Mais, pour être réaliste, aucune de ces garanties ne peut être absolue.