Syrie: gesticulations diplomatiques et statu quo militaire

Fadi Assaf.

Le Président français François Hollande a discuté de la crise syrienne avec son homologue russe Vladimir Poutine, après en avoir discuté avec le nouveau Secrétaire d’Etat américain John Kerry, et alors que se réunissaient à Rome les amis du peuple syrien (28/02). La Syrie était au centre de l’entretien téléphonique entre les Présidents Barack Obama et Vladimir Poutine le 01/03. Les déclarations de bonnes intentions, sont accompagnées du déblocage, somme toute symbolique, d’une aide américaine supplémentaire de $60m à l’Opposition syrienne et d’une aide militaire non létale destinée à couvrir les besoins opérationnels quotidiens de la Coalition de l’Opposition syrienne. Ces annonces coïncident avec les révélations sur des aides militaires saoudiennes aux combattants anti-Assad, achetées en Croatie, et sur des discussions qui se poursuivent en coulisses, et qui traînent indéfiniment, afin de débloquer de nouvelles aides militaires et opérationnelles européennes au profit de l’Opposition. Ces aides sont annoncées comme devant servir à restaurer un équilibre des forces entre l’Opposition et le pouvoir syrien. La décence ne pouvait permettre une confusion, difficile, entre de telles décisions, marginales et si insuffisantes, et une réelle volonté politique de provoquer, rapidement, le renversement du régime Assad, par la force. Cela semble servir, surtout, à prolonger une guerre de tranchées entre les deux camps, et à épuiser le régime et l’Opposition armée dans l’espoir de provoquer des arrangements politiques unanimement acceptables.

Londres s’érige en fer de lance de l’offensive occidentale contre le régime Assad, en appelant à lever l’embargo sur la fourniture d’armes aux rebelles syriens, alors que Paris, qui jouait ce rôle avant l’ouverture du front malien et la prise en compte d’une série de paramètres qu’imposent désormais les évolutions régionales et l’actualité politique et économique française, prend un certain recul en traitant le dossier syrien. Les Britanniques, peu présents au Levant ces dernières années, s’y intéressent à nouveau aujourd’hui, encouragées par les hésitations américaines et les préoccupations françaises actuelles, et peut-être aussi, par l’arrivée d’une nouvelle donne, celle du gaz en Méditerranée. Mais l’enthousiasme britannique, et les bonnes intentions françaises et américaines, ou aussi les engagements pris par les bailleurs de fonds arabes et par la Turquie, ne parviennent toujours pas à faire changer d’avis Moscou. La question est, certes, bien plus subtile, et concerne l’après-Assad, surtout, et une redistribution des cartes au Proche-Orient et dans le bassin oriental de la Méditerranée riche en hydrocarbures.

Moscou, qui soutient diplomatiquement Assad, lui fournit toujours aujourd’hui une aide militaire, technique et opérationnelle, cruciale pour continuer à résister militairement. Il est question de débloquer de nouveaux programmes d’armement, qui seraient d’une grande utilité pour les forces combattantes du régime, dont celui des avions Yak-130, des avions efficaces pour l’appui des troupes au sol. Téhéran, qui soutient économiquement et financièrement Assad, s’implique de plus en plus dans la guerre, via ses fournitures d’armes et de munitions, ses conseillers et cadres militaires, ses moyens technologiques, ses troupes d’élites et des unités combattantes transfrontalières relevant des Pasdarans. Ce double engagement russe et iranien, sans parler des aides, diplomatiques ou opérationnelles, fournies par la Chine ou le Hezbollah libanais, permet au régime de contrer les vagues d’attaques successives, celles menées par l’Armée Libre de Syrie avec l’aide opérationnelle de pays voisins (Turquie, Jordanie) et de pays plus éloignés (Etats-Unis, France, Grande-Bretagne), et celles menées par les diverses factions islamistes combattantes, y compris celles affiliées à al-Qaëda (comme Jabhat al-Nusra placée, comme le Hezbollah libanais chiite pro-iranien, sur la liste américaine des organisations terroristes). En réalité, cet équilibre des forces sur le terrain militaire, qui permet aussi bien au régime Assad qu’à la Coalition de l’Opposition de ne pas être vaincu et écrasé par la partie adverse, est voulu par les deux camps internationaux : par la Russie et ses alliés et par le camp occidental et ses partenaires régionaux.

En effet, encore une fois, c’est l’après-Assad qui pose problème aujourd’hui, à tous les acteurs du conflit syrien. Aucun de ces acteurs, puissances internationales comprises, n’est en mesure d’offrir, sans une intervention extérieure à l’irakienne ou à la libyenne, la victoire à son partenaire dans le conflit syrien. Ni Moscou ne peut permettre une victoire nette d’Assad, ni le camp adverse ne peut permettre à l’Opposition de l’emporter militairement. Sans une intervention extérieure, toujours peu probable aujourd’hui, pour les mêmes raisons d’ailleurs, la guerre risque de durer plus longtemps. Il s’agit donc pour les partenaires extérieurs des deux camps d’entretenir chez eux une capacité de résistance minimale, car la victoire de l’un ou l’autre de ces deux camps devient, politiquement surtout, clairement impossible. Progressivement, la guerre devient si difficile à supporter pour les deux belligérants, simultanément, qu’il leur sera inévitable de passer à la phase du dialogue politique, une phase qui permettrait aux acteurs extérieurs d’encaisser leurs gains espérés.

Ainsi, pour Moscou, Assad n’est plus un partenaire viable à terme, mais c’est un partenaire nécessaire encore aujourd’hui. Pour Washington et ses alliés occidentaux surtout, l’Opposition, nécessaire aujourd’hui, dans ses diverses composantes y compris ses factions djihadistes, n’est pas non plus incontournable, dans sa formulation actuelle, dans l’après-Assad. Les deux parties semblent d’accord pour garder, entre leurs mains, leurs outils d’action et d’influence en Syrie : le régime Assad pour l’une et l’Opposition pour l’autre. Les deux parties entretiennent donc, par pragmatisme, la capacité de résistance et de combat de leurs partenaires sur le champ de bataille, sans aller jusqu’à leur offrir les moyens de vaincre l’adversaire. Les deux parties savent que l’élaboration d’un système politique viable et capable de gouverner la Syrie actuelle dans l’après-Assad est toujours improbable. Toutes deux sont conscientes aussi que Moscou a une longueur d’avance sur ce dossier, et que Vladimir Poutine sera le personnage incontournable dans tout arrangement futur en Syrie. Paris et Washington savent qu’ils ne peuvent provoquer un réel changement sur le terrain militaire qui vit, comme les scènes diplomatique et politique, un blocage évident, Ils prennent conscience que, dans la crise syrienne, tous les chemins mènent à Moscou.

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