Fadi Assaf.
La pression croît contre le Hezbollah, et prend de multiples formes. Plusieurs affaires de terrorisme sont attribuées à l’organisation libanaise pro-iranienne, dont l’attentat de Bourgas en Bulgarie contre des ressortissants israéliens. Des pressions diplomatiques sont exercées auprès de l’Union Européenne afin de placer le parti sur la liste des organisations terroristes, même si, des pays comme la France, hésitent encore à couper les ponts avec le Hezbollah, par pragmatisme et par intérêt aussi. Des pressions juridiques sont exercées contre le Hezbollah, avec le Tribunal Spécial pour le Liban, véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête de l’organisation, avec l’affaire de Bourgas, et avec aussi une série d’affaires internes libanaises liées à des tentatives d’assassinat notamment.
Les pressions militaires israéliennes contre le bras armé du Hezbollah s’intensifient, avec une montée en puissance de l’arsenal miliaire israélien à la frontière sud du Liban, les violations répétées de l’espace aérien libanais par des avions de combat et des drones de surveillance, et les démonstrations de force quasi quotidiennes des navires de guerre et de sous-marins israéliens dans les eaux territoriales libanaises. Les Israéliens, dont on rapporte qu’ils visent des cibles du Hezbollah et des cadres iraniens actifs sur la voie Damas-Beyrouth, menacent, par la voix de leur classe dirigeante et de leur institution militaire, et à travers aussi leurs médias, le bras armé du parti libanais dont il redoutent l’acquisition d’armes qualitatives auprès du régime syrien. Ils affirment être en mesure d’empêcher de nouveaux transferts d’armes offensives au profit du Hezbollah. Les pressions sécuritaires sur le Hezbollah s’intensifient aussi, de la part des services de renseignement israéliens, comme en témoigne le démantèlement de plusieurs cellules d’espionnage, y compris dans l’environnement immédiat de l’organisation chiite.
Le Hezbollah est également engagé sur le front militaire en Syrie, où il est accusé, par l’Opposition syrienne, de participer aux combats aux côtés du régime, et où ses militants encadrent des forces locales engagées dans la défense de villages chiites sur le sol syrien. L’Armée Libre de Syrie, al-Qaëda et ses filiales djihadistes comme Jabhat al-Nusra, et leurs alliés et sympathisants au Liban, Libanais, Syriens ou Palestiniens, menacent le Hezbollah de représailles, sur le sol libanais…
Au Liban, il est aussi sur d’autres fronts : le front politique avec sa défense d’une alliance au sein du camp chrétien avec le Courant Patriotique Libre du général Michel Aoun, parfois pénible et souvent contraignante, la préparation des prochaines échéances électorales avec la très problématique loi électorale; sa contribution, parfois contraignante, au gouvernement du Premier ministre Najib Mikati; le front social avec un autre paradoxe à gérer, avec son soutien aux revendications de la classe ouvrière dont est issue sa base principalement, tout en cherchant à ménager le gouvernement dont il fait partie; le front confessionnel qui s’impose par lui-même sur fond de guerre en Syrie et de l’émergence d’un islam sunnite radical et militant, et qui impose aux cadres du Hezbollah une extrême prudence et à sa base une totale retenue pour éviter une fitna qui pointe son nez au Liban; le front économique, avec un monitoring de plus en plus ciblé et efficace des sources de financement internes et surtout externes du parti, par les Etats-Unis et d’autres pays et organismes internationaux.
L’ouverture d’un nouveau front, celui de la désinformation et de la propagande, risque aussi de demander une énergie supplémentaire au Hezbollah et à ses dirigeants au cours de la présente phase. Il ne s’agit pas vraiment d’un nouveau front, mais plutôt d’une nouvelle offensive médiatique contre le Hezbollah qui annonce une véritable guerre de déstabilisation qui vise l’organisation libanaise pro-iranienne. Cette guerre de l’information, à laquelle le Hezbollah est en mesure de répondre encore aujourd’hui, exploite des moyens divers, y compris les médias internationaux, régionaux et parfois locaux, les réseaux sociaux, et même une guerre informatique ciblée. Il y a la volonté aussi de neutraliser les médias du Hezbollah qu’on prive d’accès à de nombreux réseaux de diffusion internationaux et arabes. Mais, surtout, il y a une volonté évidente, dans le contexte actuel particulièrement tendu en Syrie et sur le front irano-arabe, de détruire l’image que s’est construit le Hezbollah au sein de sa communauté, sur le plan national libanais, au sein du monde arabo-musulman, sur la scène palestinienne, et même dans la communauté altermondialiste.
Le Hezbollah, très souvent confondu avec un vulgaire bras armé des Pasdarans ou aussi du régime alaouite syrien, est flanqué automatiquement de terrorisme, d’actions subversives, d’ingérences dans les affaires des pays arabes, de trafics, de blanchiment d’argent, de scandales à répétition (drogues, médicaments, rapts, etc.). Sa légitimité arabe et nationale, gagnée lors de ses guerres contre Israël et à travers son soutien à la cause palestinienne, est directement visée par la propagande. Sa légitimité politique, acquise par sa représentativité au sein de la communauté chiite et par son alliance avec le CPL, mais aussi par les urnes, est contestée par ses détracteurs. On lui ôte son rôle national pour insister sur son rôle régional, au service d’ambitions iraniennes, sous la coupe de wilayat el-faqih, et d’ambitions alaouites, avec les rumeurs sur un projet de constitution en cours d’un pays alaouito-chiite en Syrie. On l’accuse de porter préjudice, par ses ingérences, aux relations libano-arabes, et donc aux intérêts économiques et nationaux des Libanais. On l’accuse aussi, toujours sur le plan libano-arabe, d’engager le Liban dans un camp hostile au camp arabo-sunnite, et surtout au futur pouvoir “sunnite” espéré par le camp anti-Hezbollah et qui lui vaut, d’ores et déjà, des mises en garde et des menaces directes de l’Armée Libre de Syrie… Le Hezbollah est accusé d’attiser la fitna confessionnelle, par son radicalisme religieux et son surarmement. On jette un doute sur ses relations avec l’Armée libanaise, avec une volonté évidente de toucher à l’alliance, pragmatique, qui lie l’Institution militaire officielle et la principale composante de la résistance contre Israël.
La propagande anti-Hezbollah touche désormais, directement, les dirigeants et les symboles de l’organisation : après avoir tenté de ternir l’image d’une des personnalités les plus appréciées par la base, le chef militaire du Hezbollah Imad Moughniyé mort assassiné en Syrie, avant le début de la guerre, et alors que les scandales et les affaires de corruption qui sont révélés dans l’entourage de personnalités politiques de premier plan sont exploités afin de nuire à l’image et à l’honorabilité du parti, on ressort du placard l’ancien Secrétaire général du parti cheikh al-Tufaïli, sorti du giron syro-iranien et évincé par l’actuel commandement du parti (invité d’un talk-show sur la MTV le 25/02) pour espérer attiser les divisions au sein de la communauté et du Hezbollah. Surtout, on s’en prend désormais au SG du Hezbollah sayyed Hassan Nasrallah, sur le plan politique certes, mais aussi sur le plan personnel avec des rumeurs sur son état de santé et sur son transfert en urgence en Iran. Le Hezbollah a dû réagir en démentant ces rumeurs, le 26/02, et en affirmant que Nasrallah est en bonne santé et qu’il n’a pas quitté le Liban… Il a dû réagir à nouveau le 27/02, pour démentir la rumeur sur son SG adjoint cheikh Naïm Qassem qu’on disait blessé ou même mort lors d’une embuscade que lui aurait tendue l’Armée Libre de Syrie. Nasrallah a dû monter au crénau, personnellement, pour réfuter ces allégations. Autant dire que la propagande anti-Hezbollah inquiète…
Le Hezbollah a fait preuve, par le passé, d’une grande capacité de résistance aux offensives médiatiques, à la propagande et aux campagnes de désinformation qui le visaient. Ses lignes de défense ont résisté, et ses contre-attaques étaient pertinentes. Aujourd’hui, on est aux portes d’une véritable guerre de déstabilisation qui vise le Hezbollah, ses dirigeants, sa base, ses actions politiques et sociales, sa légitimité religieuse, nationale, arabe, son image, son rayonnement, ses moyens divers. Le Hezbollah parviendra-t-il à résister à ces nouvelles vagues déstabilisatrices, qui viennent s’ajouter aux multiples autres fronts sur lesquels il est actuellement engagé simultanément?