Fadi Assaf.
La visite à Damas, les 09-10/02, du chef de l’Eglise maronite Mgr Béchara el-Raï, à l’occasion de l’intronisation du nouveau patriarche des Grecs-orthodoxes Mgr Jean Yazigi, est une visite pastorale, certes, mais à fortes connotations politiques et géopolitiques.
C’est la deuxième visite à Damas d’un patriarche maronite depuis 70 ans, ce qui est en soi un évènement. Elle vient dans le sillage d’un autre grand évènement pour les Chrétiens d’Orient, la visite, au Liban, en septembre dernier, en plein “printemps arabo-islamiste”, du Pape Benoît XVI.
Raï savait que sa visite à Damas, alors que les Libanais sont divisés sur la crise syrienne, y compris au sein du camp chrétien, ne fera pas l’unanimité et lui vaudra toutes sortes de critiques. Mais il a tenu à effectuer sa visite à Damas, avec une volonté évidente de rassurer les Chrétiens de Syrie sur leur avenir, au moment où leur présence sur la terre de leurs ancêtres est triplement menacée : par le chaos, l’insécurité et l’instabilité que provoque la crise syrienne; par la montée du fondamentalisme islamiste et de l’intolérance religieuse; par les encouragements, pragmatiques et parfois suspects, qu’ils reçoivent d’ambassades étrangères pour prendre la route de l’exil définitif…
Avant l’Islam, les Chrétiens d’Orient étaient disséminés sur leurs terres d’origine avant d’être confinés dans des frontières nationales et dans des nations qu’ils ont contribué à créer avant de s’y retrouver emprisonnés… De tout temps, les Chrétiens d’Irak, de Syrie, de Palestine et de tout l’Orient arabe, regardaient en direction du Liban pour voir, dans le statut exceptionnel de leurs coreligionnaires libanais une garantie pour leur propre pérennité. A coups de révolutions, de guerres, d’insécurité, de dhimmitude, de salafisme rétrograde, de radicalisme, d’intolérance et de djihadisme global, leur environnement se déstabilisait ce qui provoquait inéluctablement leur exil. Ils s’installaient au Liban, avec pour une partie d’entre eux le rêve d’un foyer chrétien qui garantirait leur présence et leur statut, ou transitaient par le Liban en attendant de rejoindre d’autres cieux plus cléments, ou encore, pour bon nombre d’entre eux, quittaient leurs terres pour émigrer définitivement. L’histoire des Chrétiens d’Orient est ainsi faite de doutes, d’insécurité, d’exil, d’émigration, mais aussi et surtout de foi. Leur attachement à leur foi chrétienne et leur attachement aussi à leurs origines et à leur terre ancestrale, empêchent toujours une partie d’entre eux de quitter le Proche-Orient, en dépit des menaces et des tentations.
Le Liban, dernier rempart des Chrétiens d’Orient, est au centre de cet enjeu. Le Vatican a vu juste depuis toujours en appuyant par tous ses moyens cette présence chrétienne, catholique et orthodoxe, qui rayonne à partir du Liban. Benoît XVI, après Jean-Paul II qui a effectué deux voyages au Liban, s’inscrit dans cette même philosophie. Et puisque le Liban, où les Chrétiens sont toujours aujourd’hui relativement bien présents, est le phare qui rassure les minorités d’Orient, c’est donc dans ce pays qu’il convient de consolider leur présence et c’est à partir de ce pays qu’il convient de maintenir des liens forts avec les Chrétiens d’Irak, de Palestine et de Syrie.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la visite du patriarche maronite à Damas. Une visite, qui s’inscrit aussi sous le signe du rapprochement entre les Eglises, et qui ne pouvait se faire sans la bénédiction et les encouragements du Vatican. Le Vatican se retrouve ainsi aux premières lignes sur le front diplomatique, alors que les crises régionales, et maintenant la crise syrienne, déstabilisent encore plus l’environnement immédiat des minorités chrétiennes d’Orient. Aura-t-il son mot à dire dans les arrangements internationaux en cours ? Le Vatican influencera-t-il la politique américaine?