Fadi Assaf.
Total vient de remporter son premier contrat chypriote, alors que Chypre, très exposée à la crise financière grecque, subit des pressions européennes et internationales pour éviter elle-même la crise. Les autorités chypriotes, qui multiplient les contacts régionaux afin d’éviter toute tension supplémentaire autour de leur dossier gazier, progressent ainsi sur la voie de l’exploitation de leur gaz offshore. Les enjeux énergétiques se mêlent aux enjeux financiers et aux enjeux de politique intérieure, et imposent une stabilisation des conflits maritimes avec les pays voisins directement concernés, en attendant leur règlement. La dimension sécuritaire et militaire s’impose au dossier et oblige les autorités chypriotes, qui se retrouvent ainsi au cœur d’enjeux géopolitiques européens, à offrir des garanties, même précaires, aux opérateurs internationaux qui s’engagent à Chypre. La même problématique se pose aux autres pays qui s’apprêtent à exploiter leur potentiel gazier sur le bassin oriental de la Méditerranée. Le cas chypriote mérite d’être suivi, car il donne des indicateurs sur les solutions que ces pays méditerranéens et les compagnies pétrolières internationales pourraient adopter en vue d’assurer une sécurité optimale à leur gaz offshore.
La Marine chypriote est quasi inexistante. Elle ne possède pas de bâtiments majeurs, et opère, notamment, deux patrouilleurs rapides de fabrication française et ancienne (1975), autrefois opérés par la Marine grecque. La surveillance de la ZEE où se concentrent les richesses gazières de Chypre, nécessite des moyens bien plus élaborés. Cela ouvre un marché aux chantiers navals, aux équipementiers, et exige du commandement militaire chypriote, l’élaboration d’un programme d’expansion de la Marine, conséquent. Cela nécessite des moyens de surveillance radar, terrestres, maritimes et aéroportés, des moyens de patrouille en haute mer, des moyens de recherche et de sauvetage, etc., comme cela nécessite une réévaluation de l’organisation générale des forces navales chypriotes au niveau de leur commandement, de leur déploiement, de leur formation.
Les forces armées chypriotes ont mené, fin 2012, un exercice multilatéral (ARGONAUT 2012) auquel s’étaient associées des unités européennes, et même une unité libanaise (mais pas d’unités israéliennes), avec pour thème la sécurisation de l’espace maritime. L’UE, que présidait alors Chypre, est bien consciente des enjeux à sa frontière chypriote, et entend, logiquement, contribuer à la sécurisation des richesses énergétiques de son partenaire méditerranéen. Le rapprochement actuel entre la France et la Turquie ne semble pas impacter, ni le positionnement des compagnies françaises à Chypre, ni les relations franco-chypriotes. En tout cas, les menaces d’Ankara contre les sociétés qui aideront Chypre à exploiter son gaz offshore ne semblent pas impressionner Total et Paris. En sera-t-il de même pour les industriels de l’armement et de la sécurité français ? Seraient-ils prêts, pour ceux qui ont des intérêts en Turquie, à prendre le risque de froisser Ankara en travaillant avec Chypre ?
Logiquement, ils ne devraient pas craindre grand-chose, d’autant que les menaces turques visent les compagnies pétrolières, et non tout autre partenaire économique ou militaire de son voisin membre de l’UE. Mais la vigilance s’impose quand même, car l’humeur turque étant ce qu’elle est, on peut redouter, encore une fois pour ceux qui ont des intérêts conséquents en Turquie, des conséquences sur les relations franco-turques en cas d’une forte implication française à Chypre. Le même raisonnement doit être suivi pour l’ensemble du bassin oriental de la Méditerranée, avec des enjeux qui se compliquent encore plus avec le conflit libano-israélien, les arrangements contestés entre Israël, Chypre et l’Egypte, le flou qui entoure la scène syrienne, etc. Mais une chose reste sure: l’enjeu sécuritaire est central, et l’ouverture des chantiers énergétiques en Méditerranée orientale implique, nécessairement, l’apparition de nouveaux besoins chez les pays concernés en termes de sécurité et de défense. Puisque c’est Chypre qui inaugure le bal, avec Israël, et avant le Liban et la Syrie, il serait utile de surveiller tout cela de près, et surtout de voir si une approche française (ou européenne) globale du marché est possible et souhaitable, et si les acteurs économiques, industriels et politiques français n’ont pas intérêt à imaginer des packages-deals englobant le gaz et sa protection?