Le Président égyptien Mohammad Morsi, qui prépare une visite en Allemagne fin janvier puis en France début février, s’est dit opposé à l’intervention militaire française au Mali. Sa position a été appuyée aussitôt par al-Azhar qui a dénoncé l’engagement armé de la France au Sahel. Les Frères Musulmans s’expriment ainsi, haut et fort, contre la France et contre son intervention anti-terroriste. Quelques jours avant Morsi et al-Azhar, c’était au prédicateur fondamentaliste Youssef al-Qardawi, guide spirituel des Frères Musulmans, de condamner, via l’Association internationale des ulémas qu’il préside, l’action militaire française. Al-Qardawi, qui offre au pouvoir du Qatar, son pays d’accueil, la légitimité religieuse qui lui fait défaut, et qui influence, via al-Jazeera, des dizaines de millions d’auditeurs musulmans à travers le monde, est, par ces déclarations anti-françaises, à l’intersection des orientations politiques actuelles du Qatar, de l’Egypte, et des Frères Musulmans. C’est en tout cas valable, aujourd’hui, pour le cas malien.
Au Mali, la France peine à réunir le tour de table qu’elle a pu réunir contre le colonel Moammar Kadhafi. Pour se limiter au seul monde arabe et islamique, il convient d’insister sur l’engagement, en Libye, du Qatar, en plus des Emirats Arabes Unis et de l’Arabie saoudite notamment, aux côtés de la France et de la coalition internationale. Qataris, Saoudiens et Emiratis ont mis des moyens considérables, financiers, logistiques, diplomatiques, médiatiques, pour aider la France à renverser Kadhafi. Les Qataris et les Emiratis se sont même engagés militairement en Libye. Déjà, en Libye, et contre Kadhafi, les dirigeants qataris avaient placé des options sur les groupes armés les plus marqués religieusement et les plus radicaux. Mais l’enthousiasme que générait alors le “printemps arabe” et l’ultime objectif visant à renverser l’adversaire commun à Tripoli, étouffaient ces dérives qataries.
Aujourd’hui en Syrie, les Qataris sponsorisent aussi les groupes djihadistes les plus radicaux, dont des anciens de Libye d’ailleurs, tout en œuvrant activement pour pousser l’organisation des Frères Musulmans à élargir son influence au sein de l’Opposition qui continue de se préparer à l’après-Assad. Si les Saoudiens et les Emiratis fournissent, eux aussi, des aides sous diverses formes aux opposants au régime alaouite de Bachar el-Assad, il est clair désormais que Riyad et Abu Dhabi cherchent à contrer la montée en puissance des Frères Musulmans. La France, avec la communauté internationale, veut le départ d’Assad, mais semble hésiter, de plus en plus aujourd’hui, à passer à la vitesse supérieure, se contentant, pratiquement, d’observer et de condamner le pourrissement dramatique de la situation en Syrie. En Syrie, la situation actuelle divise les pays arabes, les puissances régionales et la communauté internationale. Mais ce qui les divise surtout, c’est bien l’après-Assad.
En Libye, la France avait le Qatar à ses côtés dans son intervention pour renverser le colonel Moammar Kadhafi. Français et Qataris n’ont pas hésité à exploiter les tendances djihadistes et radicales pour renverser Kadhafi, ouvrant la voie au chaos actuel en Libye, un chaos que l’on souhaite transitoire, mais un chaos qui déborde sur le plan régional et qui profite forcément aux plus radicaux. En Syrie, le Qatar avait la France à ses côtés, depuis le début, pour renverser Bachar el-Assad. Mais l’expérience libyenne, les alliances établies par le Qatar avec notamment les Frères Musulmans qui froissent d’autres alliés stratégiques de la France dont l’Arabie saoudite et les EAU, l’entrée en scène de groupes djihadistes violents, sans parler de considérations internationales et géopolitiques de plus en plus complexes, ne garantissent plus aujourd’hui la pérennité de l’alliance franco-qatarie sur la scène syrienne. Au Mali, cette alliance manquait depuis le début à la France, le Qatar étant, au mieux, opposé, à l’intervention française. Il n’est pas exclu d’ailleurs que le Qatar soit impliqué contre la France sur la scène malienne, avec le soutien de l’Egypte des Frères Musulmans. Au Mali aussi, la France a le soutien des EAU, où sont positionnées des forces françaises, et de l’Arabie saoudite.
Abu Dhabi où vient de se rendre le Président François Hollande, est, à l’instar de Riyad, opposé aux Frères Musulmans. Au sein du Conseil de Coopération du Golfe, on voit émerger deux camps opposés : le camp saoudo-émirati et le camp qatari. L’opposition entre les deux camps tourne aujourd’hui autour des Frères Musulmans, le Qatar bénéficiant d’un relais considérable en l’Egypte des Frères Musulmans, avec une possible ramification vers…l’Iran. Si la Libye a réuni tout ce groupe animé par sa haine du colonel Kadhafi, et motivé par un tour de table international déterminé, le Mali fait ressortir les divergences entre les acteurs régionaux, ce qui affecte forcément l’action de la France. In fine, tout cela, avec une multitude d’autres facteurs, risque d’affecter l’action du Qatar en Syrie… Cela pourrait annoncer un rapprochement encore plus grand entre Paris et Abu Dhabi, et entre Paris et Riyad, un rapprochement qui pourrait signifier, provisoirement certes, un froid dans les relations franco-qataries et franco-égyptiennes.