Fadi Assaf.
L’Iran sera affaibli par la perte éventuelle de l’allié alaouite au pouvoir en Syrie. Son rêve de croissant chiite allant de Téhéran vers Beyrouth en passant par Bagdad et Damas serait très fortement compromis. Son accès direct au bassin oriental de la Méditerranée deviendrait plus problématique encore, et sa capacité d’action sur le dossier palestinien et sur celui des mouvements de résistance anti-israélienne serait réduite. Son influence régionale, même dans l’Irak voisin où la résurgence du sunnisme politique sur le plan régional et maintenant en Syrie entraînerait forcément un affaiblissement du chiisme pro-iranien, mais aussi sur les dossiers kurde, syrien, palestinien, serait diminuée. Autant de raisons pour les Iraniens d’anticiper la perte de l’allié alaouite en Syrie, afin de préserver l’influence de la République islamique sur l’échiquier proche-oriental et régional. La fin du régime de Bachar el-Assad, qui affectera certainement le positionnement régional de l’Iran, ne peut être perçue à Téhéran comme une fermeture définitive de voies d’accès et de ses moyens d’influence au Levant.
Le raisonnement du Hezbollah doit être proche, actuellement, de celui de ses sponsors iraniens. L’organisation libanaise pro-iranienne, qui ne désespère pas d’aider au sauvetage improbable du régime de Damas, planche bien évidemment sur le scénario post-Assad. L’organisation chiite subit les pressions de la montée des clivages confessionnels dans la région et la poussée du sunnisme politique et militant, et espère planifier de la manière la plus pragmatique son repositionnement futur. Pour le Hezbollah, la fin du régime de Bachar el-Assad, qui affectera certainement sa capacité à rayonner en dehors des frontières libanaises, ne peut être perçue à Beyrouth comme une marginalisation sur la scène politique nationale.
La Russie, très impliquée aux côtés du régime syrien, est surtout très impliquée dans la recomposition du pouvoir en Syrie. Moscou, puissance internationale très directement concernée par les évolutions en Syrie et au Proche-Orient, coopère bien entendu avec Washington (où on voit, à Damas, une équipe conciliante s’installer au State Department et au Pentagone) et avec la communauté internationale et les acteurs régionaux directement concernés. Les évolutions militaires sur le terrain empêchent un règlement rapide du conflit, dans un sens ou dans l’autre, et le rapport des forces régionales et internationales ne permettent pas, encore moins aujourd’hui avec l’entrée en scène des djihadistes radicaux et l’ouverture de fronts prioritaires au Sahel, d’engager une opération militaire extérieure d’envergure pour provoquer le renversement de Bachar el-Assad. La situation est bloquée, et les initiatives internationales piétinent. La Russie a toutes ses chances de reprendre l’initiative et d’imaginer, avec Washington, un règlement viable et acceptable par les diverses parties. Cela signifie qu’on se dirigerait surtout vers des compromis, et vers un tour de table qui associerait les Syriens dans toutes leurs composantes, et derrière eux leurs sponsors externes, régionaux et internationaux.
Pour l’Iran, cela signifie un rôle dans la Syrie de l’aprės-Assad, ou même dans le chaos syrien. Le sponsoring, pour ne pas dire la protection, des minorités est sur l’agenda de l’Iran. Cela lui préserverait une présence en Syrie, certainement moins importante que celle qu’il a eue ces dernières années, et lui permettrait de garder une influence au Levant, certainement moins consistante que celle qu’il a toujours aujourd’hui sur la rive orientale de la Méditerranée. Un minimum acceptable par l’Iran pour accompagner le changement en Syrie. A son niveau, le Hezbollah espère accompagner le changement de régime en Syrie en copiant sur l’Iran, à l’intérieur des frontières libanaises. Sur le plan régional, l’Iran espère cautionner un système qui assurerait une cohabitation sereine entre la majorité sunnite qui monte en puissance et les minorités ethniques, religieuses et confessionnelles qui doutent de leur pérennité à l’ombre d’une population sunnite en effervescence. Sur le plan national libanais, le Hezbollah espère jouer un rôle similaire, ou du moins fédérer autour de lui les minorités chiites (Hezbollah, Amal), chrétiennes (alliance stratégique avec le Courant Patriotique Libre) et éventuellement druzes (les Druzes de Syrie tendent de plus en plus l’oreille à l’ex-Ministre libanais druze pro-iranien Wiam Wahhab et de moins en moins au très volatile chef druze Walid Joumblatt).
Les contacts, encore balbutiants, engagés entre le Hezbollah et le Courant du Futur, en vue de se projeter ensemble dans l’après-Assad, s’expliquent ainsi par une volonté commune, chez les chefs Chiites et Sunnites libanais de sanctuariser le Liban et de lui éviter les secousses que risquerait de provoquer la chute du régime syrien. Ces contacts sont engagés à l’initiative de l’Ambassadeur d’Iran au Liban R. Abadi, qui doit avoir le soutien et les encouragements d’au moins la Russie et probablement aussi de l’Arabie saoudite. A suivre.
Cet article a été publié le 22 janvier 2013 sur le site Libnanews.