Fadi Assaf.
La tournure qu’ont prise les évolutions actuelles en Somalie et au Mali aurait pu contraindre le Président François Hollande à reporter sa visite aux Emirats Arabes Unis. Mais les interventions militaires françaises étaient prévues en avance, même si les évènements qui les marquent sont imprévisibles, et les enjeux de la visite d’Abu Dhabi sont tels pour la France, pour son positionnement stratégique dans le Golfe, son rayonnement régional, sa balance commerciale, ses approvisionnements énergétiques, que l’Elysée ne pouvait que confirmer ce déplacement.
François Hollande, qui confirme, au Mali, sa détermination à engager les forces armées lorsque les intérêts stratégiques de la France et de ses alliés sont menacés, gagne ainsi en crédibilité, du point de vue de ses interlocuteurs arabes et notamment du point de vue de celui qui est aujourd’hui l’homme fort d’Abu Dhabi et des EAU cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan. Le Prince héritier d’Abu Dhabi et vice-commandant suprême des Forces armées fédérales, reçu à l’Elysée avec tous les honneurs par F. Hollande le 11/07/12 (lire l’analyse de MESP : « EAU : Mohammad Ben Zayed à l’Elysée : le changement, c’est maintenant… »), est l’interlocuteur privilégié de la France, de ses institutions militaires et de ses industriels de la défense. Les engagements extérieurs de la France, qui entretient une base militaire à Abu Dhabi face à l’Iran, l’intéressent particulièrement, et l’engagent en quelque sorte vis-à-vis à de Paris. Car, en effet, une des dimensions qu’il apprécie le plus dans l’évaluation des partenaires internationaux d’Abu Dhabi, reste la dimension militaire.
F. Hollande, qui intervient le 15/01 à la séance d’inauguration du World Future Energy Summit, parlera avec ses interlocuteurs émiratis, l’émir d’Abu Dhabi et Président des EAU cheikh Khalifa Ben Zayed Al Nahyan (qui contrôle les finances) et son demi-frère et PH cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan, énergie, pétrole (avec un intérêt particulier pour un contrat gazier de $10md concernant Total à Bab Sour), coopération militaire et stratégique (base d’Abu Dhabi), armement (avec la relance espérée du programme Rafale), culture (la Sorbonne, le Louvre), investissements (Fonds souverains émiratis).
La peur d’une récession économique pousse la France à consolider ses relations stratégiques avec les pays arabes du Golfe qui procèdent au recyclage d’une partie de leurs excédents financiers dans l’économie française et surtout dans les projets qui contribuent à contenir le chômage. Le président François Hollande, qui poursuit la politique d’ouverture sur les pays pétroliers du Golfe suivie par son prédécesseur Nicolas Sarkozy, avait visité l’Arabie saoudite après son accession à la présidence (lire l’analyse de MESP : « Golfe-France: François Hollande à Riyad: approche globale des marchés d’armement du Golfe »), et reçu à l’Elysée les plus hauts dirigeants émiratis, qataris, koweïtiens et bahreïnis, et se rend aujourd’hui à nouveau au Golfe afin de poursuivre les dossiers conjoints parmi lesquels les dossiers économiques.
La relation entre la France et les pays arabes du Golfe est une relation mure et profonde et n’est pas une relation occasionnelle et superficielle, même si elle a pu connaître quelques ralentissements suite à l’absence de totale harmonie entre les dirigeants ou faute d’une convergence ponctuelle sur des sujets spécifiques. Le Président Hollande qui a placé à la tête de ses priorités la limitation du chômage en France, perçoit les partenaires de la France dans le monde arabe et surtout les pays du Golfe comme des partenaires stratégiques sur lesquels on peut et on doit compter afin de soutenir l’économie nationale française et pour contribuer à donner à la France l’élan économique pour qu’elle reste une puissance internationale capable à son tour de contribuer à préserver la sécurité, la stabilité et les intérêts de ses partenaires arabes et du Golfe.
Pour cela, Hollande a encouragé, comme son prédécesseur, les Fonds souverains du Golfe à dynamiser leurs contributions dans les entreprises françaises parmi lesquelles les grandes entreprises stratégiques, comme il a voulu associer les Arabes du Golfe au soutien de ses politiques socioéconomiques en affectant une partie de leurs investissements au profit de zones défavorisées dans les banlieues françaises, ce qui contribue à soutenir la stabilité sociale en France. De ce point de vue, le partenariat franco-Golfe est plus large et plus profond qu’une coopération économique étroite et conjoncturelle, pour devenir une coopération stratégique reposant sur une vision globale des intérêts communs et sur une vision de long terme. Dans la philosophie économique française, les industries technologiques avancées occupent une place spéciale au cœur de toute coopération stratégique avec ceux que la France considère comme les partenaires de premier rang comme les pays pétroliers du Golfe, de sorte à ce que les Français cherchent à consolider la dimension stratégique de leurs relations avec leurs partenaires internationaux à travers des programmes communs qui contribuent à aider les industries technologiques françaises à préserver son avance et son développement et surtout aussi son indépendance. Les industries stratégiques telles que l’énergie ou l’aviation, dans ses deux aspects militaire et civil, constituent probablement une des meilleures illustrations de ce progrès technologique français et de l’indépendance de la France à l’égard de l’extérieur et de ses partenaires et même ses alliés.
Lorsque les dirigeants des Emirats, pour se limiter à eux aujourd’hui, s’intéressent au secteur de l’aviation, militaire et civile, ils apprécient les sacrifices consentis par la France pour préserver sa supériorité technologique et l’indépendance de ses décisions industrielles et donc souveraines. En s’intéressant davantage aux évolutions actuelles au niveau de l’industrie aéronautique française, ils ne peuvent, après l’épisode libyen où la France engageât ses Mirage et ses Rafale et ses multiples moyens de combat, ou maintenant le Mali où elle engage ses troupes au sol et ses moyens aériens, qu’apprécier encore plus ces efforts français visant à préserver la capacité d’intervention extérieure des Armées françaises. Le développement de nouveaux avions de combat, dont l’avion Rafale polyvalent ou aussi l’avion de combat sans pilote Neuron (Lire l’analyse de MESP : « Golfe – France: Relance attendue des programmes de défense français dans le Golfe »), contribue effectivement à préserver les capacités militaires stratégiques de la France et en même temps cela consolide l’indépendance de ses décisions souveraines. Cela est apprécié par les partenaires émiratis de la France, dans le contexte géopolitique actuel.