Fadi Assaf.
L’Irak vient de décider de fermer ses frontières avec la Jordanie, alors que “le triangle sunnite” est en effervescence et menace d’isoler Bagdad et le pouvoir central irakien d’Amman et de Damas. Cette décision irakienne, prise après la visite surprise du Premier ministre irakien chiite Nouri al-Maliki à Amman pour annoncer au roi Abdullah II une aide pétrolière salutaire, risque de n’être que provisoire, ce qui devrait soulager le gouvernement jordanien qui subit des pressions économiques intenables. L’Iran a voulu profiter, lui aussi, du froid qui affecte les relations entre Amman et ses bailleurs de fonds arabes du Golfe, en proposant une aide économique à la Jordanie. Abdullah II, qui vient de recevoir, discrètement, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, et qui ne désespère pas de rejoindre un jour ou l’autre le Conseil de Coopération du Golfe, reste totalement ancré dans le camp américain et occidental, et ne pouvait accepter les avances iraniennes.
La Jordanie se retrouve, pour des raisons géographiques surtout, au cœur des évolutions dramatiques actuelles au Proche-Orient, et pense être en mesure de survivre aux pressions, régionales et internes, en adoptant une politique d’extrême prudence sur les dossiers régionaux. Sur la question palestinienne, la Jordanie maintient ses engagements en faveur de la sécurité d’Israël, y compris désormais sur le dossier des armes chimiques syriennes, et tente d’éviter un règlement par Tel Aviv, sur son dos, de sa problématique palestinienne en Cisjordanie. Sur la question irakienne, Amman œuvre pour que le soulèvement sunnite contre Bagdad ne trouve pas d’écho auprès de ses populations, convaincue aussi par l’utilité des aides pétrolières irakiennes pour apaiser provisoirement sa rue, faute d’aides arabes consistantes. Sur la question syrienne, Amman accueille une logistique militaire alliée et des exercices multilatéraux, installe des camps pour y accueillir quelque 200.000 réfugiés, mais reprend, en même temps, sa coopération sécuritaire avec le régime syrien contre le djihad transfrontalier et le terrorisme fondamentaliste. Sur ce même dossier, la Jordanie irrite les pays arabes les plus engagés contre Bachar el-Assad, notamment le Qatar et l’Egypte, alors que l’Arabie saoudite, autre pays que le manque d’engagement jordanien contre Damas irritait il y a quelque temps, semble réviser ses calculs et mieux comprendre la position du roi Abdullah II à l’égard de la crise syrienne. Le Qatar et l’Egypte, qui mettent la pression sur Amman sur le dossier syrien, ont d’ailleurs des leviers internes facilement exploitables contre le régime hachémite: les Frères Musulmans et les Palestiniens. Abdullah II, qui revoit ses alliances internes en direction des forces séculaires notamment, craint une manipulation dangereuse des FM et du Hamas palestinien par l’axe égypto-qatari afin de lui forcer la main sur la Syrie.
Devant cette situation, Abdullah II, dont le pouvoir est incapable de traiter les dossiers les plus pressants aux yeux des populations, à savoir les dossiers socioéconomiques, espère rester suffisamment fort pour continuer à manœuvrer et survivre aux pressions externes, et paraître assez fragile pour espérer continuer à drainer les aides financières et économiques régionales et internationales. Un jeu d’équilibriste auquel le souverain hachémite semble désormais bien rodé. Mais un jeu qui ne lui garantit qu’une survie provisoire, en attendant de meilleurs jours, éventuellement.