Fadi Assaf.
L’organisation des Frères Musulmans, qui a pu profiter par le passé des largesses et de l’hospitalité des monarchies arabes conservatrices, continue de progresser dans le monde arabo-musulman, portée par les vagues révolutionnaires. Cela inquiète, surtout les régimes arabes conservateurs, unis contre le vrai changement chez eux, mais divisés sur les actions à mener pour contrer la montée en puissance des FM.
Le “modèle turc” qui rassure parfois les pays occidentaux, ne rassure pas forcément les pays arabes. Ce modèle, turc, les divise en tout cas. En Syrie, où ils sont en guerre ouverte avec le régime baasiste alaouite depuis des décennies, les FM bénéficient aujourd’hui du soutien des pétromonarchies. On leur trouve une raison d’être, que l’on aurait souhaitée provisoire, celle de renverser Bachar el-Assad… En Jordanie, le régime hachémite, allié des monarchies arabes du Golfe, subit les assaults programmés de l’Opposition conduite par les FM. Là, les monarchies du Golfe se retrouvent solidaires, derrière le Roi Abdullah II, face aux FM.
Parmi les Etats membres du Conseil de Coopération du Golfe, seul le très engagé émirat du Qatar semble un soutien presque inconditionnel, encore aujourd’hui, des FM. Ses leviers financier, médiatique (al-Jazeera), religieux (Youssef al-Qardaoui), diplomatique, logistique, peuvent être mis au profit des révolutions populaires actuelles dans le monde arabe, un peu avec l’ambition de provoquer le changement pour le changement… En fait, le changement ailleurs que chez soi. Cela profite, logiquement, aux FM dans les pays où l’organisation est la mieux structurée. Plus exposée, l’Arabie saoudite est plus prudente en traitant avec ces mouvements révolutionnaires et avec les FM à l’égard desquels les Al Saoud entretiennent une méfiance maladive.
Le Qatar, l’Arabie saoudite et les autres régimes monarchiques conservateurs, ont bien entendu le même objectif, celui d’empêcher le changement chez eux. Chacun à sa façon. La recette semble généralement la même pour tous, les dosages sont différents. Détourner les regards des questions internes en focalisant sur les évolutions externes, tout en faisant miroiter aux alliés occidentaux, en ces temps de crises, de réelles perspectives de recyclage des pétrodollars dans leurs systèmes économiques.
Le cas de l’Egypte est intéressant à suivre, vu du Golfe. L’Arabie saoudite a voulu empêcher le renversement de l’allié Husni Moubarak en Egypte et l’arrivée des FM au pouvoir au Caire; le Qatar voyait le changement venir, a monté la vague des FM égyptiens; les Emirats Arabes Unis, très vite confrontés à la menace des FM, montent au créneau aujourd’hui, et semblent tentés de s’impliquer dans la contre-révolution actuelle. Sur un même dossier, les monarchies du CCG ont des politiques différentes, voire divergentes. Sur celui des Frères Musulmans, le Qatar soutient l’organisation, l’Arabie saoudite s’oppose à elle, et les EAU contre-attaquent en Egypte.
Ce dernier point est intéressant à soulever, d’autant que l’action des EAU, un pays directement impliqué dans le renversement du colonel Moammar Kadhafi en Libye et très concerné par le projet de changement de régime en Syrie, est passée par trois étapes : un recul et un déni de réalité face à l’offensive des FM, surtout en Egypte; une offensive des autorités émiraties contre les relais locaux, aux EAU, des FM, qui a pris plusieurs dimensions, sécuritaire, juridique diplomatique et médiatique ; et aujourd’hui, une contre-attaque, sur le sol égyptien, qui prendrait, elle aussi, plusieurs formes. Il s’agit de défendre la stabilité du pouvoir aux EAU, et celle des monarchies voisines puisque les autorités émiraties accusent les FM de fomenter un complot visant à renverser les gouvernements arabes de la région, de préserver les intéréts alliés sur la zone, via les régimes ainsi consolidés, et de tenter de contenir la poussée des FM là où ils sont les plus forts et donc les plus influents, en Egypte.
Selon des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux, rapportées par le Mujtahid des EAU (@mujtahideau), version émiratie du Mujtahid qui est devenu la bête noire des Saoud en Arabie saoudite, les autorités émiraties ont décidé d’affecter un budget pour attiser le soulèvement actuel contre le Président Mohammad Morsi, et discréditer le pouvoir des FM, dans le cadre d’une action globale coordonnée qui impliquerait le chef de la Police de Dubaï le général Dahi Khalfan, et en Egypte, des personnalités politiques (Ahmad Chafiq notamment) et médiatiques (Amro Adib). Un jeu qui pourrait s’avérer être dangereux pour les EAU. A suivre.