Fadi Assaf.
L’Iran tente un forcing en Jordanie, à la faveur de la crise économique qui déstabilise le royaume. Téhéran, qui n’a pas de relais politiques ou confessionnels “naturels” en Jordanie, trouve le moment opportun pour proposer d’approvisionner le royaume en carburants “à prix d’amis” pour aider le régime à apaiser la rue. En échange, la république islamique dit souhaiter le soutien logistique du royaume hachémite pour faciliter les visites de pèlerins aux lieux saints de l’islam chiite en Syrie. Plausible, mais pas totalement convaincant.
Les Iraniens savent l’importance stratégique de la Jordanie : vis à vis de la Syrie où la chute du régime alaouite allié paraît encore plus probable aujourd’hui; vis à vis de l’Arabie saoudite et des monarchies arabes du Golfe pour lesquelles la monarchie hachémite constitue un poste avancé dans leurs luttes au Proche-Orient et dans la défense de leur modèle politique; vis à vis de l’Irak dont c’est l’extension naturelle à divers égards; et vis à vis du conflit israélo-palestinien au cœur duquel se trouve naturellement la Jordanie. Ils tentent d’y mettre pied, pour compenser la perte éventuelle de deux alliés, Bachar el-Assad et le Hamas, compléter leur déploiement et leur positionnement sur les scènes libanaise, irakienne et palestinienne, et poursuivre l’encerclement de la Péninsule arabique.
Le Roi Abdullah II n’a pas voulu répondre aux propositions iraniennes. L’infiltration des Iraniens en Jordanie serait une ligne rouge pour le régime lui-même, l’Opposition islamique, les partenaires israéliens et turcs, les frères arabes du Golfe, et les alliés occidentaux. Si les Iraniens se devaient de saisir cette opportunité pour tenter de progresser sur le terrain monarchique conservateur, Abdullah II se devait, quant à lui, d’y faire bloc.
Mais, y voyant une opportunité intéressante, les services secrets du Roi et son appareil diplomatique ont voulu tirer parti de ce forcing iranien afin d’intéresser encore plus les bailleurs de fonds arabes et les alliés occidentaux à la stabilité de son régime. Les premières réactions n’ont pas tardé, avec une contribution pétrolière, opportuniste et avisée, celle de l’Irak. L’Arabie saoudite, qui réunit en décembre les chefs d’Etats du Conseil de Coopération du Golfe pour débattre, entre autres sujets, de l’adhésion de la Jordanie au club monarchique, a aussitôt annoncé avoir réglé sa part prévue dans le programme d’aides économiques décidé au profit d’Amman. Parallèlement, et alors que des forces “alliées” s’installent sous couvert d’humanitaire et de missions de surveillance à la frontière de la Jordanie avec la Syrie, les Forces armées royales sont invitées à renouveler leur participation aux exercices multilatéraux aux côtés de troupes arabes et/ou internationales. Au même moment, des voix s’élèvent à Bahreïn pour classer la Jordanie comme faisant partie de la sécurité nationale des Etats membres du CCG, et de l’intégrer dans le dispositif de défense de ces Etats…
Le Roi Abdullah II doit faire face à des contestations populaires et politiques grandissantes, sur fond de tensions économiques et sociales et sous la pression d’évolutions régionales particulièrement pesantes. Face à la montée des périls, le régime monarchique jordanien joue de tous ses atouts : ses alliances occidentales et israéliennes, le réflexe monarchique qui fonctionne toujours auprès des membres du CCG, la position stratégique “multirôle” de la Jordanie, etc. Il manipule aussi une série de leviers, sécuritaires, politiques, économiques, tribaux, etc. L’Iran, et sa nouvelle tentative d’offensive en terrain jordanien, devraient désormais en faire partie…