Le Premier ministre turc R.T.Erdogan renforce son contrôle, constitutionnellement, sur l’Armée, et ne doute plus de la loyauté de l’Institution militaire à l’égard du pouvoir politique. D’autant qu’il a noyauté l’Armée, progressivement, par de jeunes officiers influencés par les vues de l’AKP et qui viennent remplacer la vieille garde “indépendantiste”. La contagion européenne et les pressions de l’Otan ont certainement contribué à ôter à l’Armée son rôle politique prédominant, et à rétablir l’ordre constitutionnel au profit du gouvernement. L’Armée turque, sous l’autorité du gouvernement, se rapproche de l’Armée égyptienne de Mohammad Morsi, manifeste quelques réserves diplomatiques et populistes à l’égard de l’Armée israélienne, et engage le contact avec l’Armée grecque. Sur le front kurde, l’Armée turque est toujours en guerre, sur le sol national et au-delà, alors qu’elle est mobilisée sur l’autre front chaud, celui avec la Syrie. Derrière ces faits, derrière surtout le “mur de fer” qui s’érige à la frontière syro-turque, d’aucuns tiennent à voir l’ombre d’une confrontation “Est-Ouest”, entre les Etats-Unis et la Russie. On dit que seul le calendrier politique américain retient la Turquie d’entrer en guerre contre la Syrie, et la contraint à se contenter de représailles limitées aux violations répétées de la frontière turque par l’Armée de Bachar el-Assad. Ce même calendrier empêcherait aussi l’Otan de s’engager dans une guerre ouverte contre l’axe russo-iranien en Syrie. Les Turcs se contentent de mener des représailles militaires limitées contre l’Armée syrienne, de multiplier les gesticulations politico-diplomatiques contre le régime syrien, d’appliquer les sanctions économiques internationales contre la Syrie, de soutenir logistiquement les rebelles syriens et les réseaux djihadistes engagés sur le terrain, tout cela en attendant le calendrier politique américain. Ce raisonnement ne concerne pas que la Turquie.
En effet, les observateurs sur le terrain constatent l’engagement direct des Iraniens et des Russes aux côtés du régime syrien, sans parler de l’engagement diplomatique, médiatique, économique et logistique. Les citoyens syriens neutres constatent, surpris, que la Syrie est devenue une “province russo-iranienne”… L’Opposition syrienne, très divisée politiquement, est également très divisée militairement. Elle est de plus en plus sous influence fondamentaliste, avec des renforts de djihadistes sunnites venus du Caucase, du Maghreb (de Libye surtout), des camps palestiniens (Syrie, Jordanie, Liban), de l’Irak, de la Péninsule arabique, et elle est minée par des rivalités politiques, idéologiques, ethniques ou encore claniques. Cela profite au régime syrien qui sait tirer partie des rivalités adverses. Mais ces divisions offrent aussi aux soutiens régionaux et internationaux de l’Opposition un levier supplémentaire, en plus des aides militaires et financières, pour assurer un meilleur contrôle du terrain.
Une vision plus élargie nous permet de comprendre que toutes les parties semblent convaincues de jouer dans un temps mort, et qu’en même temps, chacune d’entre elle sait parfaitement qu’elle doit continuer à résister, impérativement, pour rester dans le jeu. Concrètement, le degré de violence croît de part et d’autre, mais les succès militaires réalisés par l’une ou l’autre partie restent sans lendemain. Cela signifie qu’aucune des deux parties n’est en mesure de trancher aujourd’hui sur le terrain. Cela signifie aussi que les soutiens régionaux et internationaux des belligérants sont eux aussi incapables de porter leurs protégés à la victoire. Comment les choses se déroulent, sur le terrain des combats et dans les coulisses de la diplomatie internationale, montre aussi que l’après-Assad ne sera décidé et connu que dans le cadre d’un arrangement entre Américains et Russes. La guerre et les combats en cours aujourd’hui à travers la Syrie paraissent un mal nécessaire pour les deux parties en conflit pour le pouvoir, un pouvoir qu’aucune de ces deux parties ne pourra plus monopoliser dans le futur. Les puissances régionales qui veillent aujourd’hui à ce que l’équilibre des forces militaires soit respecté sur le terrain, au prix humain et économique que l’on sait, veilleront aussi à ce que cela se traduise, lors d’inévitables compromis, par un équilibre des forces politiques.