Fadi Assaf.
Alors que sa politique est de plus en contestée, de manière générale, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki décide de se soumettre à ce qui semble être une nouvelle requête iranienne et de répondre aux sollicitations du Complexe Militaro-Industriel russe, au risque de provoquer encore plus ses adversaires politiques internes et les partenaires régionaux et internationaux de l’Irak. L’Iran pousse son allié irakien dans les bras de la Russie, l’éloignant encore plus des Etats-Unis et de son environnement arabe. C’est ainsi que les dirigeants des pays arabes voisins, comme l’Arabie saoudite et les autres pétromonarchies ancrées dans le camp américain, interprètent cette chaleur retrouvée au niveau des relations irako-russes et cet intérêt renouvelé de l’Armée irakienne pour la doctrine militaire russe et pour l’armement que lui propose à grands frais le très influent CMI russe.
Alors que l’Iran fait preuve de fermeté dans sa défense de son alliance stratégique avec le régime syrien, les adversaires de la République islamique ne désespèrent pas de voir un “printemps perse” finir par provoquer le départ du Président Mahmoud Ahmadinejad ou l’affaiblir suffisamment, avant la prochaine élection présidentielle, jusqu’à l’éloigner de Damas et lâcher Bachar el-Assad et avec lui, pourquoi pas aussi, le Hezbollah. Les sanctions économiques sont élargies contre l’Iran, et les pressions diplomatiques s’intensifient contre Téhéran qui ne fléchit toujours pas sur son dossier nucléaire ou sur la Syrie. Les seuls signes visibles des conséquences de ces pressions extérieures se limitent encore aujourd’hui à des manifestations de colère, y compris de la classe marchande et du Bazar, toujours sous contrôle, à l’effondrement du rial, et sur le plan régional, à la dissension du Hamas avec tout ce que cela implique pour le rayonnement de l’Iran au Proche-Orient, ou encore aux concessions faites aux Saoudiens pour calmer le jeu à Bahreïn notamment et dans la Province orientale. Ahmadijenad est toujours aux commandes en Iran, sous l’autorité du guide suprême de la révolution l’ayatollah Khamenai, avec une influence toujours aussi forte des Pasdarans sur les affaires de l’Etat et sur ses actions extérieures.
Les adversaires de l’Iran ont raison d’espérer voir, enfin, les sanctions économiques et les pressions diplomatiques, porter leurs fruits jusqu’à faire fléchir l’aile radicale du pouvoir. Mais ils ont tort de croire à un changement à Téhéran et à un affaiblissement réel et durable du poids de la République islamique sur l’échiquier régional. Au contraire, ils devraient surtout craindre une fuite en avant de l’équipe au pouvoir à Téhéran, ou tout au moins une radicalisation de ses actions régionales, surtout au Proche-Orient, mais peut-être aussi dans le Golfe où les Pasdarans s’activent de plus en plus au Yémen et où les réseaux iraniens peuvent être réactivés à tout moment pour mettre la pression sur l’Arabie saoudite et ses partenaires du Conseil de Coopération du Golfe. Mais il semble aujourd’hui, que les Iraniens aient choisi, en priorité, d’agir sur le dossier du Proche-Orient et sur le dossier syrien en particulier, et ce, à un triple niveau : appuyer directement le régime syrien en lui fournissant une aide militaire, opérationnelle et logistique, économique, diplomatique et médiatique; contribuer à neutraliser les pays voisins de la Syrie, par les moyens disponibles (visite le 04/10 à Ankara du vice-Président iranien, pour éviter l’escalade militaire entre la Turquie et la Syrie; visite du Ministre iranien de la défense à Bagdad pour éviter le blocage, voulu par les Américains et la communauté internationale, des transferts d’armes et de munitions vers la Syrie; pressions exercées sur le gouvernement libanais pour contenir l’hostilité des milieux anti-Assad, etc.). Et c’est avec trois alliés que les Iraniens pensent pouvoir encore défendre Bachar el-Assad : un allié international avec la Russie et son puissant CMI, un allié régional avec le Premier ministre Nouri al-Maliki, et un allié “transnational” qui est le Hezbollah. Le Hezbollah libanais, qui a gagné en autonomie sur le plan opérationnel, remplit bien sa mission vis à vis de la Syrie, malgré quelques couacs… L’Iran travaille surtout actuellement sur la consolidation des relations entre l’Irak et la Russie, avec comme objectif ultime la consolidation de l’axe Syrie-Irak-Iran-Liban (Hezbollah). C’est sous cet angle qu’est perçue la visite du Premier ministre irakien à Moscou, quelques jours après la visite du Ministre iranien de la Défense Wahidi à Bagdad et quelques semaines après la visite en Russie d’une importante délégation militaire irakienne conduite par le Ministre de la Défense p.p. Saadoun al-Dulaïmi.
Nouri al-Maliki est attendu à Moscou le 08/10. Des contrats d’armements d’une valeur allant jusqu’à $4md, selon des sources médiatiques saoudiennes (al-Hayat, 05/10), sont en négociations entre les deux pays et pourraient être finalisés, totalement ou en partie, à l’occasion de cette visite. Ce regain d’intérêt de l’Armée irakienne pour la doctrine militaire russe et pour les systèmes d’armes russes paraît irrationnel au regard de l’expérience récente des forces armées irakiennes et de leur proximité, supposée, avec les Forces armées américaines. Cela tombe bien, aux yeux de Nouri al-Maliki et de sa coalition au pouvoir, vu les hésitations américaines lorsqu’il s’agit de fournir et de livrer les systèmes d’armes modernes désirés (F-16), d’autant que Washington a tendance à poser des conditions à l’utilisation de l’armement livré, que ce soit au niveau régional (Israël, etc.) qu’au niveau interne éventuellement (Kurdistan). Les Etats-Unis anticipaient probablement cette progression de l’Iran en Irak, et devaient redouter depuis le retrait de leurs troupes, un noyautage, voire un contrôle, de l’appareil militaire irakien et donc des systèmes d’armes américains, par les Iraniens. Ils doivent certainement redouter aussi une adhésion encore plus grande du gouvernement irakien aux politiques régionales du voisin iranien, ou encore une tendance hégémonique de Nouri al-Maliki et de son courant politique sur les autres composantes politiques, confessionnelles et ethniques de l’Irak. Cette susceptibilité américaine, justifiée par les faits, s’est traduite par un ralentissement de la coopération irako-américaine et irako-arabe (Golfe) et par le blocage ou le ralentissement des programmes d’armement américains au profit de l’Irak. Cela n’est pas pour déplaire aux Iraniens qui rebondissent sur cette nouvelle donne afin de provoquer une ouverture, la plus large possible et la plus stratégique, de la Russie sur l’Irak. Le Complexe Militaro-Industriel russe se devait de saisir cette opportunité qui répond à ses intérêts économiques et commerciaux directs et immédiats (après la perte du marché libyen et pas seulement), et qui colle aussi et surtout aux orientations stratégiques et diplomatiques du gouvernement russe. L’axe Iran-Syrie deviendrait l’axe Iran-Irak-Syrie. La Russie aurait désormais des raisons supplémentaires pour continuer à le soutenir.