Fadi Assaf.
C’est l’Emir du Qatar, cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, qui a répondu, devant l’Assemblée Générale de l’Onu, à la question de savoir qui engagera ses forces armées dans la guerre en Syrie pour renverser le régime de Bachar el-Assad (Voir : Syrie: Qui jettera la première pierre?): les pays arabes. Hamad Ben Jassem, qui a contribué avec ses Mirage 2000 et ses Forces spéciales dans la guerre pour le renversement du colonel Mouammar Kadhafi, se porte volontaire, une nouvelle fois, pour en finir avec le régime baasiste à Damas. Il pourrait convaincre, cette fois aussi, les dirigeants d’Abu Dhabi, d’envoyer quelques Mirage et F-16, en Syrie, n’était-ce, peut-être, la susceptibilité des Emiratis à l’égard des Frères Musulmans. Cela est loin d’être suffisant, d’autant que les pays arabes, ou encore la Turquie, hésiteront beaucoup avant d’engager des hommes, massivement, dans le bourbier syrien. Ces pays, y compris l’Egypte des Frères Musulmans dont le Président Mohammad Morsi ne cesse d’appeler au renversement de Bachar el-Assad, ne pourraient se lancer dans une telle aventure guerrière que dans le cadre d’une opération multipartite, à la libyenne. A moins que l’Emir Hamad Ben Khalifa ne soit tenté de prendre l’initiative, unilatéralement, avec l’espoir d’entraîner dans son sillage, Arabes, Turcs et pourquoi pas aussi la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’ensemble de la communauté internationale… On ne sait toujours pas aujourd’hui qui jettera la première pierre, même si on sait que le Qatar se porte volontaire…
Alors que la violence croît en Syrie, et que la guerre civile s’installe dans ce pays vers lequel affluent les djihadistes de tous poils, les régimes arabes et conservateurs, avec à leur tête les deux régimes wahhabites monarchiques, l’Arabie saoudite et le Qatar, s’impatientent et redoutent un pourrissement général de la scène syrienne qui finirait par déstabiliser l’ensemble de la région au risque de mettre en péril leurs intérêts directs. Saoudiens et Qataris s’investissent, ouvertement, dans le projet visant à renverser le régime syrien, et emploient une panoplie de moyens (propagande médiatique, pressions diplomatiques, soutien opérationnel aux insurgés, levier financier et économique, exfiltrations de dissidents, etc.). Avec la Turquie, Saoudiens et Qataris seraient allés plus loin aussi, jusqu’à engager des unités spéciales sur le terrain, dans des opérations clandestines au profit des insurgés. Jordaniens et Palestiniens auraient contribué, ponctuellement, à de telles opérations. L’Irak, qui subit des pressions arabes et internationales afin de bloquer l’acheminement d’armes et de munitions iraniennes vers la Syrie, est, avec le Liban, autre pays arabe voisin déchiré entre les deux camps qui s’affrontent sur le territoire syrien, aussi neutre que possible si l’on s’en tient au discours officiel. Ces deux pays en particulier, l’Irak et le Liban, tenteront de résister le plus longtemps possible aux pressions, internes et externes, pour éviter d’être touchés par la crise syrienne, alors que cette crise tend vers une “irakisation” violente et une “libanisation” épuisante.
Le Qatar, l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Turquie, entendent tous jouer un rôle central, valorisant pour leur rayonnement régional, dans le renversement du régime syrien et dans l’instauration d’un régime sunnite qui prendrait ses distances à l’égard de la République islamique d’Iran, aussitôt installé. Le Qatar, qui fournit aux rebelles toutes sortes d’aides dont il dispose, se montre ainsi enthousiaste même à l’idée de s’engager militairement contre Bachar el-Assad. Les Saoudiens, qui peuvent redouter, comme les Emiratis, la montée en puissance des Frères Musulmans et de forces islamistes qui échapperaient à leur influence, espéraient et espèrent toujours, un règlement rapide de la crise, même s’ils commencent à se résigner désormais à l’idée d’un long processus politico-diplomatique. L’Egypte, qui espère bénéficier d’un relais Frères Musulmans au pouvoir à Damas, miserait aussi pour cela sur une éventuelle attaque contre l’Iran par Israël qui prendrait tout le monde de court, y compris les Etats-Unis, et qui hâterait l’effondrement de l’axe syro-irano-Hezbollah contre lequel s’engagent les Frères Musulmans égyptiens aux côtés de Washington. La Turquie, qui n’accueille plus sur son territoire l’état-major de l’Armée Libre de Syrie, commence à ressentir, chez elle, les conséquences, directes et indirectes, de la crise syrienne et de la politique du gouvernement Erdogan sur ce dossier.
Tous ces acteurs, et avec eux aussi la Jordanie qui vit une instabilité interne inquiétante, ont donc intérêt à renverser la situation, brutalement et rapidement, afin de ne pas finir par perdre l’initiative sur le dossier syrien, devant une série de faits accomplis militaires, diplomatiques, politiques, etc. Mais, faute d’un déblocage rapide de la crise syrienne au niveau diplomatique (Russie, Chine, Iran), faute aussi d’un engagement militaire déterminant (zones de non-survol, offensive extérieure sur le modèle libyen, etc.), et devant le risque d’un pourrissement général et dangereusement durable de la situation, des actions violentes ciblées, comme celle qui a visé le 18/07 le siège du Conseil de la sécurité nationale ou celle qui vient de viser le siège de l’état-major militaire, pourraient se reproduire fréquemment. De telles actions, qui ont pour objectif de “débloquer” brusquement la situation en éliminant physiquement les piliers du régime, attiseront inéluctablement la crise et l’engageront encore plus sûrement sur la voie du non retour… Cela s’était parfaitement illustré lors de l’attentat contre le Conseil de la sécurité nationale le 18/07 et contre l’état-major le 26/09.