Air France, à laquelle le Ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius demande des « explications », ne peut être tenue pour responsable, seule, de la décision de dérouter l’avion à destination de Beyrouth vers Damas.
La décision de poser l’avion d’Air France le 15/08 dans la capitale d’un pays en état de guerre civile et en état d’hostilité ouverte avec la France, pour éviter de le poser au Liban, est maladroite, stupide et dangereuse. Elle est maladroite car elle paraît avoir été prise sans visibilité aucune, sans évaluation sérieuse de la situation à Beyrouth, et, à l’évidence, par défaut, après avoir pensé à Chypre puis à la Jordanie. Elle est stupide car l’avion français se retrouve en fin de parcours contraint, techniquement, de se poser à Damas, la capitale d’un pays boycotté officiellement par la France, en état de guerre civile donc et dont les relations avec la France sont particulièrement tendues. Elle est dangereuse car l’avion, à bord duquel se trouvaient des personnalités officielles françaises appelées à rejoindre Laurent Fabius à Beyrouth dès le 16/08, et des militants anti-Assad, aurait pu être immobilisé à l’Aéroport International de Damas, ou pire encore, être la cible d’une action militaire « non identifiée »… Cette affaire peut-elle s’expliquer par le calendrier français : les vacances du mois d’août, qui coïncident avec le ramadan, et qui peuvent bien se traduire par une baisse de régime, et de vigilance, dans certains services au croisement de la diplomatie et de la sécurité ?
Le commandant d’un avion d’Air France, amené à prendre une telle initiative, dans une zone sensible et dans un contexte aussi délicat, doit savoir gérer l’aspect technique, et doit pouvoir compter sur le soutien de sa « base-arrière » parisienne. Certes, il a failli manquer de kérosène après avoir renoncé à atterrir à Chypre une première fois et opté pour Amman, avant de se rabattre sur Damas. Mais, pour l’ensemble, et seuls les techniciens le diront, le commandant a joué pleinement son rôle et rempli sa mission convenablement, dans des circonstances contraignantes. Le « soutien » n’a pas suivi.
L’appréciation de la situation à Beyrouth était particulièrement mauvaise, à tel point que Paris aurait pu craindre un blocage indéterminé de la route menant à l’Aéroport International Rafic Hariri, ou pire encore, une agression contre l’avion d’Air France ou encore contre l’Ambassadeur Patrice Paoli la veille de l’arrivée à Beyrouth du Ministre français des Affaires étrangères… L’appréciation de la situation à Damas était pire encore. L’Aéroport International de Damas était à nouveau « fréquentable » pour Paris qui est le fer de lance européen de la campagne menée contre le régime syrien, et le survol des zones de guerre où les rebelles désorganisés, qui viennent d’abattre un MiG-21, commencent à être dotés de moyens antiaériens, et où les fidèles au régime de Bachar el-Assad ne manquent pas de raisons pour s’en prendre aux intérêts de la France.
La situation à Beyrouth n’était pas si mauvaise, en tout cas pas au point de faire renoncer un avion de ligne reliant Paris à Beyrouth de se poser à l’Aéroport International Rafic Hariri, la veille du début de la visite du MAE, et pas au point de manifester, aussi ouvertement, les craintes qui semblent hanter la France sur ses intérêts au Liban… La situation à Damas n’était pas si rassurante, en tout cas pas au point d’y poser un avion d’Air France, en violation d’un embargo en cours, dans une capitale d’où la France a retiré son Ambassadeur, et où l’anarchie fait courir des risques sécuritaires certains aux visiteurs français et aux personnalités anti-Assad qui se trouvaient à bord de l’appareil.
La lecture des évolutions sur le terrain libanais, et à Damas, ce jour-là, en temps réel, aura été mauvaise, à Paris, au double niveau, diplomatique et sécuritaire. Il ne s’agit pas là de blanchir Air France ni de charger les autorités françaises. Mais, même si la compagnie aérienne française ne peut être excusée pour cette initiative malheureuse, ne serait-ce que pour n’avoir pas pu solliciter en temps réel les autorités françaises compétentes, et parce que des dysfonctionnements paraissent évidents au niveau de son système de « veille » sur la zone du Proche-Orient, on devrait plutôt se tourner vers Paris pour voir s’il y avait bien ce jour du 15/08 un pilote dans l’avion ? C’est Air France qui devrait, peut-être, demander des « explications » aux autorités françaises…