L’arrestation, le 09/08, de l’ancien Ministre libanais pro-syrien Michel Samaha, par les Services de renseignement des Forces de Sécurité Intérieure, est liée, selon le Premier ministre Najib Mikati, à « des questions de sécurité » et « non à une collaboration avec Israël ou au Tribunal Spécial pour le Liban » chargé d’enquêter sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. L’arrestation de Samaha serait « liée à des préparatifs d’attentats dans plusieurs régions libanaises » selon des sources de sécurité libanaises citées par la télévision LBCI (09/08).
Samaha, présenté par la télévision du Hezbollah, al-Manar, comme « un conseiller du Président syrien Bachar el-Assad », est connecté, directement, à la conseillère du Président syrien Boussaïna Chaaban et à d’autres personnalités du premier cercle de la présidence syrienne. De confession grecque-catholique, autrefois engagé au sein du parti Kataëb de la Droite chrétienne avant d’adhérer aux thèses les plus radicales du camp pro-syrien, Samaha est le fer de lance de la propagande syrienne au Liban. Celui qui s’est permis de défier, publiquement, le TSL, et qui a constamment défendu le régime syrien et son influence au Liban, tombe aujourd’hui pour une « vulgaire » affaire sécuritaire…
Quelques années après l’arrestation de quatre officiers libanais (le DG des FSI, le chef de la Garde présidentielle, le DG de la Sûreté Générale et le DRM de l’Armée) et d’autres individus, dans le cadre de l’enquête du TSL, tous relâchés après quatre ans de détention, le camp pro-saoudien et anti-syrien doit se sentir à nouveau suffisamment fort et soutenu pour se risquer dans un nouveau bras de fer avec le camp pro-syrien sur une affaire aussi délicate. Le contexte est pourtant différent, bien différent.
Le camp du 14 Mars a engagé directement dans ce bras de fer le service de renseignement des FSI qui a procédé à l’arrestation, selon les règles d’usage. Ce service commandé par le général Wissam Hassan tombe sous l’autorité opérationnelle directe du DG des FSI le général Achraf Rifi. Deux officiers sunnites, piliers du dispositif de sécurité du Courant du Futur. Le Ministre de l’Intérieur le général Marwan Charbel, de confession maronite et proche du Président de la république Michel Slaïman, affirme n’avoir pas été tenu au courant de l’opération. Les autres services de sécurité, notamment ceux qu’on accuse d’être noyautés ou même pilotés par le camp du 8 Mars, le camp du Hezbollah, comme la Direction du Renseignement Militaire de l’Armée ou la Sûreté Générale, ne sont pas associés à cette affaire.
Alors que les services de sécurité « liés » au camp du 8 Mars, et donc au Hezbollah et au camp pro-syrien, fléchissent, de plus en plus souvent aujourd’hui, devant les pressions politiques internes et même régionales (Arabie saoudite, Qatar), les services de l’Intérieur, surtout « ferh el-maaloumat » du général Wissam Hassan, osent défier l’ordre établi jusqu’à engager un bras de fer impossible il y a quelques mois avec le noyau dur du régime syrien au Liban. La Sûreté Générale, dirigée par le général chiite Abbas Ibrahim, a dû accepter que soit libéré l’élément fondamentaliste sunnite anti-syrien Chadi Mawlawi après son arrestation à Tripoli pour ses liens supposés avec al-Qaëda, alors que l’Armée libanaise accepte, sous la contrainte aussi, que soient arrêtés ses officiers et soldats impliqués dans l’accrochage qui a coûté la vie à un cheikh sunnite à Akkar et à son compagnon sur un barrage militaire.
L’arrestation de Michel Samaha par un service de sécurité libanais, politiquement ancré dans le camp anti-syrien et pro-saoudien du 14 Mars, intervient alors que les tensions sont exacerbées entre l’axe syro-iranien et Riyad, et au moment où d’autres services libanais, dont la Sûreté Générale ancrée dans le camp adverse, livraient au régime syrien des opposants exfiltrés au Liban par les soins de réseaux sunnites libanais soutenus par l’axe saoudo-qatari. Cette affaire intervient aussi quelques jours après la visite au Liban et en Syrie du SG du Conseil iranien de la sécurité nationale Saïd Jalili, et alors que les services de renseignements saoudiens, désormais pilotés par l’homologue saoudien de Jalili, le prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz, s’impliquent de plus en plus ouvertement dans le conflit syrien et plus directement dans la dimension libanaise et sunnite de ce conflit qui vise à renverser le régime alaouite de Damas et à contenir l’influence de l’Iran au Machreq.
L’arrestation de Michel Samaha, qui ne manquera pas de susciter toutes sortes de commentaires dans les réseaux « alter-médiatiques » qu’il a réussi à noyauter à Paris comme à Beyrouth, n’a pas provoqué les réactions que l’on pouvait attendre de la part du camp du 8 Mars. En tout cas pas encore, et pas tout de suite. Quelques voix ont été entendues à l’annonce publique de l’affaire, pour dénoncer l’arrestation de Samaha, comme celle de l’ancien Président Emile Lahoud qui, en réagissant à chaud, n’a pas manqué de rappeler l’arrestation des quatre officiers libanais dans le cadre de l’attentat contre Hariri avant de les libérer quatre années plus tard. Mais la voix de l’épouse de Samaha, qui appelait « le camp auquel appartient » son mari à réagir à cette arrestation, semble avoir été étouffée par les enjeux du moment… Il convient d’attendre avant de pouvoir évaluer les tenants et les aboutissants de cette affaire, mais certains signaux ne trompent pas…
En résumé, le camp anti-syrien et pro-saoudien se sent suffisamment confiant, à nouveau, pour défier le camp pro-syrien et le Hezbollah aussi ouvertement. Michel Samaha, qui est poursuivi, semble-t-il, pour des dossiers sécuritaires (les rumeurs vont jusqu’à parler de projets d’attentats au Akkar lors de la visite prochaine du patriarche maronite Béchara el-Raï !?), est une cible « optimale » : il représente, symboliquement, l’influence syrienne au Liban et une figure publique du camp du 8 Mars, mais, en même temps, il est un acteur, quelque part, isolé… Ce n’est pas, par exemple, le général Jamil Sayyed, officier chiite arrêté pendant quatre ans dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de Hariri, et que le Hezbollah sponsorise jusqu’à défier toutes les autorités officielles en lui assurant la protection politique et sécuritaire à son retour à l’Aéroport International de Beyrouth il y a quelques mois… Si des preuves sont établies sur son implication dans des projets d’attentats, Samaha se retrouvera encore plus isolé. Même si, les preuves similaires établies à l’encontre de djihadistes sunnites impliqués dans des opérations contre l’Armée libanaise n’ont pas empêché leur libération dernièrement…
D’aucuns attribuent aux Saoudiens et aux Français un rôle dans cette arrestation spectaculaire d’une personnalité libanaise pro-syrienne de premier rang. Le camp pro-syrien sera-t-il en mesure de réagir, efficacement, à un tel défi ? Les plus radicaux au sein du camp du 8 Mars estiment que le Hezbollah respectera les consignes du SG du CSN iranien Said Jalili qui a répété, lors de sa rencontre à Beyrouth avec le SG du Hezbollah Hassan Nasrallah et lors de sa rencontre à Damas avec le Président Bachar el-Assad, la solidité de l’axe libano (Hezbollah)-syro (Alaouite) – iranien… Les plus pragmatiques ont tendance à penser que la position du Hezbollah se distinguera de celle du camp pro-syrien, jusqu’à « laisser faire » le camp pro-saoudien lorsqu’il s’agit de contrer l’influence du régime syrien au Liban. Ils se demandent, en effet, si le Hezbollah n’a pas intérêt plutôt à lâcher Samaha, surtout si des preuves sont établies sur son implication dans des dossiers sécuritaires touchant la communauté maronite, pour éviter une confrontation frontale avec le camp sunnite et pro-saoudien au Liban ? Ainsi, le régime syrien en paierait le prix, en perdant un de ses principaux relais politiques et médiatiques au Liban, mais pas le Hezbollah. L’organisation chiite pro-iranienne y laisserait quelques plumes…Question de crédibilité et d’image…