Le très énigmatique et très pro-américain prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz a été nommé le 19/07 espion en chef du royaume saoudien, après avoir végété quelques années comme Secrétaire Général du Conseil de la Sécurité Nationale, un CSN copié sur le modèle américain mais qu’il n’a pas pu dynamiser pour une multitude de raisons. Bandar Ben Sultan, ancien ambassadeur en poste à Washington pendant de longues années, pensait utiliser la plateforme « CNS » qu’il a lui-même créée, en 2005, après l’accession au trône du roi Abdullah, pour conforter son positionnement interne. C’était sans compter les évolutions saoudo-américaines, et même américano-américaines avec le départ du clan Bush auquel Bandar s’était très fortement lié, et c’était sans compter aussi les évolutions au palais, à Riyad, depuis la mort du roi Fahd Ben Abdulaziz, suivie par celle de son frère et Prince héritier Sultan Ben Abdulaziz (père de Bandar) et par celle de l’autre Prince héritier Sudaïri Nayef Ben Abdulaziz. Ces évolutions, de diverses natures et qui ont relativisé le poids du prince Bandar, n’ont pas permis au SG de jouer pleinement le rôle qu’il ambitionnait au CNS. Le CNS, que préside le roi et qui comprend parmi ses membres le Prince héritier et Ministre de la Défense, les Ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères, et le chef des RG, n’a pu remplir sa mission principale, celle d’offrir une dimension stratégique à la politique de sécurité du royaume et surtout de coordonner l’ensemble des actions menées par les multiples services de sécurité. La compétition, dans la complémentarité, étant ce qu’elle est entre les services et les clans et princes qui les contrôlent, le manque de légitimité de Bandar pour remplir cette mission dans un contexte qui ne lui était pas toujours favorable, et même son état de santé, expliquent le blocage du CNS et l’échec ainsi attribué à son SG.
Bandar préparait son retour aux affaires depuis plusieurs mois. La réorganisation générale du pouvoir, après la mort de deux princes héritiers, le père de Bandar et son oncle Nayef, et la redistribution, en cours, des responsabilités entre les princes les plus influents, y compris les princes les plus ambitieux parmi ceux de la génération des petits-fils du roi fondateur, semblent profiter aujourd’hui à Bandar. Son état de santé, surtout son état de santé morale, lui permet de revenir aux affaires, après quelques doutes, et alors que son frère, le prince Khaled Ben Sultan Ben Abdulaziz a été promu vice-Ministre de la Défense, que son cousin (et fils du roi Abdullah) le prince Mitaab Ben Abdullah Ben Abdulaziz, a été promu Ministre d’Etat et chef de la Garde nationale, et que plusieurs autres de ses cousins, y compris des fils du roi Abdullah et des princes du clan Sudaïri, progressent dans la hiérarchie du pouvoir. Mais il a fallu, probablement, un coup de pouce extérieur, américain, pour que Bandar s’impose ainsi, jusqu’à déloger des Services de Renseignements son oncle et prince de la première génération Muqrin Ben Abdulaziz qui a été nommé émissaire du roi. Bandar, dont on a remarqué la présence le 09/07 aux côtés du roi Abdullah lors de l’audience accordée au chef de la CIA le général David Petraeus, reste membre de facto du National Security Council où il pourrait aussi mieux réussir la coordination des services. Alors que la répartition des pouvoirs au sein de la famille, maintenant qu’on prépare une double succession au palais, celle du roi Abdullah et de son Prince héritier Salman Ben Abdulaziz, risque de provoquer des cloisonnements inutiles pour ne pas dire nuisibles entre les services de sécurité, la mise en avant de Bandar pourrait avoir été conseillée par ses amis américains.
Il s’agit donc, faute de pouvoir coordonner parfaitement les services, d’ériger en pivot du dispositif de sécurité une personnalité expérimentée aussi bien en affaires de sécurité, qu’en affaires diplomatiques et stratégiques. Bandar est appelé, par le palais et par ses partenaires américains, à jouer un rôle central au niveau de la sécurité et du renseignement, l’est surtout pour ses connaissances des dossiers les plus sensibles aujourd’hui et les plus prioritaires pour Riyad et Washington : (i) le dossier syrien, sur lequel Bandar adoptait au début une position radicale, position qui n’était pas approuvée par le roi Abdullah alors, avant que les choses n’évoluent dans le sens que l’on sait depuis ; (ii) le dossier irakien, auquel Bandar était associé depuis le début par l’administration Bush père puis par l’administration George W. Bush, et qui a besoin d’être repris en main, en urgence, après le retrait américain ; (iii) le dossier iranien, sur lequel Bandar, qui maintient des contacts discrets avec des milieux influents à Téhéran, peut être sollicité dans un sens ou dans un autre ; (iv) les dossiers yéménite, bahreïni, pakistanais, égyptien (ces dossiers sont co-gérés par les principaux responsables contrôlant les rouages de la sécurité, de la diplomatie et des finances), et l’ensemble des dossiers qui nécessitent une double expérience sécuritaire et diplomatique et qui nécessitent surtout une vision commune avec les Etats-Unis. A cela, il convient de rajouter des dossiers internes, dont les agitations chiites dans la Province orientale (géré surtout par le prince Mitaab Ben Abdullah Ben Abdulaziz, chef de la Garde nationale), sans oublier bien évidemment le terrorisme d’al-Qaëda (géré surtout par le prince Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz, homme fort du Ministère de l’Intérieur).
Bandar, qui serait encore plus à l’aise dans l’hypothèse d’un retour au pouvoir à Washington de ses amis Républicains, est, aujourd’hui, le plus « américain » des princes saoudiens du premier cercle. Dans la philosophie du pouvoir saoudien, et du pouvoir du clan Sudairi qui se prépare à revenir à la tête du pouvoir après Abdullah, cela est un avantage qualitatif inestimable. Les liens que le nouveau chef des RG possède avec ses oncles, ses frères et cousins qui tiennent l’appareil sécuritaire du royaume, au Ministère de la Défense, au Ministère de l’Intérieur, à la Garde nationale, etc., et la place centrale qu’occupe la direction des Renseignements dans la structure sécuritaire de l’Etat, lui offrent des capacités de rayonnement internes inégalées. A rajouter au rayonnement régional et international que lui procure son nouveau poste, doublé de son expérience passée à Washington.