Syrie – France : Paris prépare-t-il, sérieusement, la bataille de Syrie ?

Par Fadi Assaf

 

La France, sous la présidence socialiste, et en pleine crise économique européenne, maintient le cap sur le dossier syrien, et réaffirme, avec le Président François Hollande et son Ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, sa détermination à accompagner la fin du régime du Président Bachar el-Assad. Que fait-elle, cependant, pour défendre son propre positionnement en Syrie et au Moyen-Orient ?

L’invité d’honneur du Président Nicolas Sarkozy au 14 Juillet 2008, Bachar el-Assad, qui a été chaleureusement consolé à la mort de son père par le Président Jacques Chirac, seul dirigeant occidental de ce rang à s’être rendu aux obsèques de Hafez el-Assad en juin 2000, comprend le revirement français comme étant une reconnaissance de l’avènement de l’islam politique dans l’ensemble de la région. Une obsession pour les minorités religieuses et communautaires de la Syrie, auxquelles appartient le clan présidentiel qui était habitué à un degré de tolérance élevé à son égard de la part de Paris.

La France du Président François Mitterrand avait accepté l’occupation syrienne du Liban au nom d’une série de faits accomplis et d’arrangements internationaux liés à un contexte géopolitique international et régional particulier. Il y avait la confrontation Est-Ouest, le facteur palestinien particulièrement déstabilisant pour le Liban, l’intensité du conflit israélo-arabe qui se répercutait sur la scène libanaise, une guerre civile interne, etc. La France de Jacques Chirac avait toléré l’occupation syrienne du Liban, y compris après le retrait israélien, au nom de considérations régionales et internationales parmi lesquelles les guerres de l’Irak couvertes par la Syrie ou aussi la guerre contre le terrorisme, et au nom parfois d’arrangements impliquant par moment l’Arabie saoudite directement ou via son relais libanais l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, ami personnel du Président français. La France de Nicolas Sarkozy, aussi, savait être tolérante avec le régime syrien dont on annonçait le renouvellement avec l’arrivée de Bachar el-Assad, pour accompagner d’autres évolutions géopolitiques internationales et régionales, et au nom, là aussi, d’arrangements impliquant par moment les monarchies arabes du Golfe, surtout le Qatar cette fois.

Il y avait, toujours, de faux espoirs de changements en Syrie et dans sa politique régionale, et de vraies déceptions, toujours aussi. La France espérait constamment encourager l’ouverture du régime, arriver à une autre forme de gouvernance de la Syrie, et intégrer Damas dans un Moyen-Orient pacifié. Il y a aussi une grande part de realpolitik, et aussi, faut-il le reconnaître, d’impuissance. Le régime alaouite, minoritaire, baasiste, dictatorial, a survécu, des décennies, grâce aussi, et surtout peut-être, à ses propres moyens et aux capacités de manœuvre de ses dirigeants. Pour certains, ce fut quatre décennies de trop. Pour d’autres, ce n’est pas assez. On en est, aujourd’hui, à la faveur du « printemps arabe », ce mouvement qui vient légitimer et banaliser l’islam politique, au point de rupture.

La majorité sunnite se soulève contre le régime, un régime qui commence à perdre pied sur le plan régional et sur le plan international. Sur le plan interne, Bachar el-Assad bénéficie toujours d’une supériorité militaire, même si, un équilibre de la terreur commence à s’installer entre les forces loyales et les insurgés. Il bénéficie toujours aussi d’une cohésion certaine de sa communauté alaouite, et d’un réflexe de survie qui lui profite chez les autres minorités chrétiennes et druzes, et chez une classe sunnite marchande qui redoute de perdre ses avantages. Sur le plan régional, le régime bénéficie toujours du soutien de la république islamique d’Iran, et de l’appui, plus proche, du Hezbollah libanais et de ses alliés locaux, même si cet appui est tout sauf suicidaire… Sur le plan international, le régime peut toujours compter, encore aujourd’hui, sur l’engagement de la Russie, et d’autres pays dont la Chine. Mais le point de rupture est atteint, à l’évidence, et il n’est plus possible, pour Bachar el-Assad, de faire marche arrière. Trois scénarios sont désormais possibles : (i) un lâchage de Bachar el-Assad par ses soutiens extérieurs et un déblocage de la diplomatie internationale, qui provoqueraient la chute rapide du régime ; (ii) un retournement brutal de la situation (militaire, diplomatique, géopolitique) en faveur du régime, ou en faveur d’une période de transition plus ou moins longue, qui provoquerait des arrangements politiques que refusent aujourd’hui les opposants internes et externes au régime ; (iii) un pourrissement de la situation qui se traduirait par un conflit ouvert, durable et violent, et qui aboutirait à une véritable guerre civile, à une « libanisation ».

Dans les trois cas, la France, qui adopte désormais une position inflexible à l’égard de Bachar el-Assad, se doit d’anticiper et de préparer la défense de ses intérêts et de ceux de ses partenaires locaux et régionaux. Par quelles voies doit-elle le faire ? A chaque scénario, sa stratégie française, ses alliances, ses moyens d’intervention, pour que soient défendues, convenablement, les constantes de Paris, en Syrie, au Liban, en Israël, en Turquie, sur le bassin oriental de la Méditerranée, etc. Alors que les rebelles s’apprêtent à livrer la bataille de Damas, Paris doit impérativement se préparer à livrer la bataille de Syrie, celle qu’il sera amené à livrer très rapidement, en fonction du scénario qui se dessine. Rationnels et prudents, les Français peuvent choisir d’attendre une meilleure visibilité pour préparer leur repositionnement. Cependant, l’expérience récente montre que s’ils interviennent tôt (Libye) ou tard (Irak) dans un conflit, les Français ont tendance à prendre du retard lorsqu’il s’agit de cueillir les fruits de leur intervention (géopolitiques, économiques)…  

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