par Fadi Assaf.
Le gouvernement libanais a finalement décidé, sous la pression internationale et devant les risques d’escalade au nord et à la frontière syro-libanaise, de déployer de nouvelles unités de l’Armée partant de Tripoli vers les régions frontalières. Le gouvernement, qui a longtemps hésité à déployer l’Armée, pouvait même être suspecté d’avoir « laissé faire » les milieux libanais sunnites et leurs relais « frontaliers » jusqu’à imposer un fait accompli sur le terrain, défavorable à l’autorité de l’Etat. La complexité du schéma politique libanais, et les interférences confessionnelles, expliqueraient cette complicité, dangereuse pour la stabilité du pays, entre le gouvernement et les détracteurs de l’Armée nationale. Malheureusement, le chef du gouvernement Najib Mikati, sunnite, tripolitain, issu de la classe politico-affairiste qui s’était épanouie sur le dos de l’occupation syrienne, a besoin de faire de la surenchère, dans toutes les directions : il a besoin de réaffirmer, en permanence, la radicalité de son engagement confessionnel, comme il a besoin de démontrer, lorsque l’occasion se présente, sa « libanité » et sa prise de distance opportuniste à l’égard du régime syrien qui l’a sponsorisé pendant l’occupation du Liban. Cela se traduit par une surenchère en direction des milieux politiques sunnites, entendre surtout le camp Hariri, et en direction des milieux religieux, entendre le clergé officiel mais aussi et surtout les courants radicaux de tendance salafiste. Cela se traduit aussi par une mollesse, pour le moins absurde, en traitant des dossiers sécuritaires touchant la souveraineté nationale. Cela est surtout vrai lorsqu’il s’agit de contenir les dépassements des groupes combattants qui évoluent à cheval dans les régions frontalières entre le Liban et la Syrie, ou lorsque le gouvernement montre une sympathie évidente à l’égard de radicaux salafistes en confrontation ouverte avec l’Armée libanaise.
Le vent tourne, à l’évidence. La défection du général Manaf Tlass, un pur produit du système, version « sunnite », la mobilisation internationale, depuis la Conférence des amis du peuple syrien de Paris, et de nombreux autres indicateurs, poussent à croire qu’on se dirige vers une solution radicale en Syrie. C’est en tout cas ce que la classe politique libanaise commence à comprendre, unanimement presque, des messages qui lui sont adressés des pays arabes et de la communauté internationale. En effet, au Liban, il y a encore ceux qui misent sur un retournement de la situation en Syrie, grâce à un succès militaire du régime et à la solidarité de Moscou et de Téhéran. Ceux-là sont de moins en moins nombreux. Les plus convaincus parmi eux le sont le plus souvent par idéologie, ou pour n’avoir pas gardé une issue de sortie… Il y a ceux qui n’ont jamais douté du renversement du régime alaouite de Bachar el-Assad, un groupe qui ne cesse de grandir, encouragé par les positions de puissances occidentales et arabes et par les évolutions sur le terrain. Entre les deux, il y a ceux qui voient une solution médiane, intermédiaire, ou encore, un règlement long et pénible du conflit syrien. Le Premier ministre Najib Mikati est de ceux-là. Dans son « camp », il y a aussi le Président de la république Michel Slaïman, qui a évolué au sein de l’Armée jusqu’à devenir commandant de l’Institution militaire sous l’occupation syrienne, et le Président du Parlement et chef du Mouvement Amal (allié du Hezbollah) Nabih Berri, qui fut pendant des décennies, un des bras droits de l’occupant syrien au Liban.
Tous les trois donc, pour ce qu’ils représentent, sont quelque part, l’archétype de l’homme politique libanais qui a le “don” de retourner sa veste pour survivre politiquement, y compris à un séisme politique comme le renversement attendu (espéré pour certains) du régime syrien… Cela s’appliquerait surtout à Mikati (qui vient d’assurer, pour la deuxième année consécutive, la part du Liban dans le financement du Tribunal Spécial pour le Liban) et à Berri (qui devient encore plus indispensable aujourd’hui au Hezbollah, dans le montage « politico-communautaire » imaginé par l’organisation), moins au Président Slaïman (qui vient de rencontrer le 12/07 son homologue français François Hollande à l’Elysée) pour des raisons qui lui sont propres et qui sont liées à ses perspectives politiques limitées… Mais pour les mêmes raisons, et surtout pour la lecture commune qu’ils ont tous les trois des évolutions syriennes, et qu’ils n’avoueront jamais (chute inévitable du régime, autrefois allié, à terme), Slaïman, Berri et Mikati peuvent servir, in fine, à stabiliser la scène libanaise, en attendant que passe le conflit syrien (et en attendant le règlement de la crise, avec ou sans le régime actuel). En effet, tous les trois représentent, ensemble, comme l’impose le jeu politique libanais, les pouvoirs exécutif et législatif, et tous les trois peuvent prétendre, lorsque le contexte leur est favorable comme c’est le cas maintenant, une légitimité nationale, de sorte à pouvoir remplir le vide que laisse l’absence de sponsors politiques extérieurs directs, et à combler les failles établies dans le système de représentativité des diverses communautés et confessions qui forment la nation libanaise. C’est sur eux que la communauté internationale doit miser, faute de mieux et devant un fait accompli inébranlable aujourd’hui, pour faire passer cette période critique et éviter que le Liban ne bascule dans l’instabilité et l’insécurité, par contagion. C’est un « trio » de personnalités qui ont en commun aussi d’être chacune un « second best » dans sa communauté et sur le plan national et surtout dans son historique, mais un trio sur lequel il est possible de compter, encore aujourd’hui, pour faire passer le temps. La transition est en marche, au Liban aussi. Pourvu que ça ne dure pas…