Par Fadi Assaf.
Le Prince héritier saoudien et Ministre de la Défense Salman Ben Abdulaziz, qui se plaisait à superviser lui-même le programme d’expansion du réseau ferroviaire de sa ville pendant qu’il occupait le poste de Gouverneur de Riyad, se sent désormais investi d’une plus grande responsabilité, nationale, lorsqu’il s’agit de l’implémentation du Master Plan élaboré par la Saudi Railways Organization (www.saudirailways.org), un Master Plan qui s’étendra jusqu’en 2040 et qui verra passer d’autres rois et d’autres Princes héritiers… Mais Salman, qui vient d’accéder aux postes de Prince héritier et de Ministre de la Défense après la mort de ses deux frères Sultan et Nayef, entend donner le ton de son action publique, dès le début. La SRO lui en donne l’occasion, déjà. L’éviction, le 01/07, sans ménagement, du président de la SRO, Abdulaziz Ben Mohammad al-Haqil, par ordre royal (A/143), quelques heures seulement après avoir été reçu par Salman à Djeddah, est une première manifestation du mode de gouvernance que le nouveau Prince héritier entend imposer.
Certes, le projet, contesté, celui du train Riyad-Dammam, l’intéresse personnellement, à titre d’ancien Gouverneur de Riyad. Mais, c’est, surtout, à titre de nouveau Prince héritier et avec le recul « national » que cela exige, qu’il impose son diktat à la SRO. Au-delà de ce simple projet de train reliant la capitale Riyad à Dammam, il y a trois dimensions à ne pas perdre de vue :
- Les dysfonctionnements évidents au niveau du secteur du transport ferroviaire et au niveau de la SRO en particulier, aussi bien sur le plan technique (choix des fournisseurs, systèmes de contrôles, etc.) que sur le plan financier (avec les rumeurs de corruption).
- La volonté d’anticiper d’autres difficultés, de la même nature (y compris pour ce qui est des grands axes de développement, du choix des partenaires et des fournisseurs, et bien entendu de la régularité des contrats et de la transparence), sur d’autres tronçons en cours (le projet Haramain, reliant La Mecque à Médine, via Djeddah) ou d’autres projets futurs (comme l’ambitieux projet, stratégique, d’intégrer les réseaux ferroviaires des Etats membres du Conseil de Coopération du Golfe).
- Le risque de devoir gérer une crise, bilatérale, voire diplomatique, avec un pays partenaire, entendre l’Espagne, dont les entreprises sont concernées par le projet Riyad-Dammam et par le projet Haramain (et au profit desquels le roi Juan Carlos aurait pu intervenir personnellement auprès du palais à Riyad).
Dans des déclarations rapportées le 02/07 par le journal al-Madina, le numéro deux de SRO, Hamad Abdel-Qader, a menacé d’annuler le contrat remporté par l’Espagne si les problèmes techniques rencontrés sur la voie Riyad-Dammam persistaient. Le train espagnol, fourni par CAF, et qui a connu ses premières difficultés techniques dès l’inauguration de ce tronçon, a été suspendu début mai, deux semaines après son entrée en service. Les engagements pris par CAF de régler ces problèmes techniques, rapidement, pour remettre en marche le train à la mi-août, ont fait patienter SRO et les responsables saoudiens du projet. L’intervention des autorités espagnoles a tempéré la réaction des autorités saoudiennes, pendant les premières semaines. Il semble que la couverture politique ait été retirée, le premier fusible a sauté, et on a déjà fait payer le prix de cet échec espagnol au président de SRO Abdulaziz al-Haqil évincé, sèchement.
Accentuant la pression sur CAF, les autorités saoudiennes, qui désespèrent de voir le train espagnol sur les rails à nouveau sur le tronçon Riyad-Dammam avant la mi-août comme prévu, menacent, par la voix de Hamad Abdel-Qader, d’annuler le contrat, et d’inviter à nouveau la concurrence, y compris japonaise, sud-coréenne et française, à proposer leur savoir-faire et leurs technologies dans ce domaine. Les Saoudiens pensent, en effet, avoir été roulés par les Espagnols, et sont désormais convaincus, semble-t-il, de l’incompatibilité du système vendu par CAF avec les conditions du terrain en Arabie saoudite. Mais les Saoudiens refusent de reconnaître l’erreur qu’ils ont faite en choisissant de confier ce projet stratégique aux Espagnols. Dans ses déclarations à al-Madina, H. Abdel-Qader affirme que seules deux sociétés espagnoles avaient répondu à l’appel d’offres lancé par SRO, et que de ce fait, les Saoudiens « n’ont pas opté » pour l’Espagne…
L’affaire, rare en Arabie saoudite, est à suivre, de près, surtout que les plus hautes autorités politiques sont intervenues, rapidement, sur ce dossier. Il y a eu une première sanction, interne, avec la mise à la porte du président de la SRO. Mais les interrogations sont nombreuses aujourd’hui. Les sanctions risquent-elles de toucher d’autres responsables, jusqu’au sein du Ministère des Transports et au-delà ? Cette affaire risque-t-elle de toucher les partenaires locaux du projet, connus pour leur proximité des cercles du pouvoir ? Le contrat espagnol, sérieusement ébranlé par cette affaire, sera-t-il annulé, pour ouvrir la voie au retour des Français et d’autres compétiteurs ? Cette affaire ouvrira-t-elle la voie à d’autres affaires impliquant des personnalités publiques de haut rang, et des partenaires extérieurs privilégiés ? Les Espagnols, concernés surtout par le projet de TGV « Haramain High Speed » ($8,53md), risquent-ils de voir ce contrat, autour duquel circuleraient déjà des rumeurs de corruption, remis en cause à son tour (un consortium de 12 sociétés espagnoles dont l’entreprise publique Renfe, associées à la SRO et les sociétés saoudiennes al-Rosan et al-Shoula)? Les Français, Alstom-SNCF (alliés avec al-Rajhi), devraient-ils espérer revenir sur ce marché ?
Pas si vite, semble-t-il, avec l’annonce, le 02/07, d’un consortium de six banques espagnoles (BBVA, BTO.MC, SAB.MC, ACA.FR, CABK.MC et DB) de sa décision de garantir partiellement le financement du projet Haramain ($810m). Les Saoudiens, et le nouveau Prince héritier, ont voulu lancer, ouvertement, une mise en garde aux Espagnols, via le projet « Riyad-Dammam ». Mais pour eux, le projet le plus risqué, celui pour lequel leur seuil de tolérance est nul eu égard la place des Lieux Saints dans le système politique des Al Saoud et la place des services ainsi rendus aux pèlerins par les autorités saoudiennes, est celui de « La Mecque-Médine ». Les Espagnols, qui ont très vite réagi avec l’annonce d’un accord sur le financement partiel du projet après quelques mois de délais et d’incertitudes, le savent parfaitement. Ces évolutions ne peuvent pas laisser insensible la concurrence, y compris et surtout le Français Alstom qui s’estime lésé « politiquement » sur ce projet. Le changement de pouvoir à Paris et les changements à Riyad aideraient-ils à la réouverture de ce projet aux Français ?