Bien avant les autorités politiques, l’état-major militaire turc confirmait, dès les premières révélations des médias, la “disparition” d’un F-4 en Méditerranée, au sud-ouest de la province de Maltaya. L’avion turc, qui a décollé à 10h30 le 22/06 de la base d’Erhac, a perdu contact avec sa base à 11h58. Il s’est écrasé dans les eaux territoriales syriennes, avec à son bord deux pilotes.
La chaîne de télévision al-Mayadin, nouvellement créée à Beyrouth grâce à « un tour de table » de personnalités pro-syriennes et pro-iraniennes, a aussitôt annoncé que la Défense aérienne syrienne a abattu un avion devant le littoral de Ras al-Bassit, près de la frontière turque, alors que des sources syriennes, auxquelles fait référence une autre télévision libanaise New TV, révèlent que la Défense aérienne syrienne est entrée en action au courant de la nuit du 21 au 22/06 contre des avions ennemis au-dessus d’al-Badroussiya à Lattaquié et qu’elle en a abattu un. Les circonstances du crash du F-4 turc dans les eaux territoriales syriennes demeurent imprécises, mais l’incident, de par sa nature et son timing, mérite d’être mis en perspective. Plusieurs interrogations s’imposent, à chaud :
- S’agit-il d’un accident, qui peut arriver d’autant qu’il s’agit d’un vieux F-4, ou s’agit-il d’un accrochage entre les forces armées turques et syriennes ? Après plusieurs heures d’incertitudes, et à l’issue d’une réunion de crise à Ankara, les services du Premier ministre turc Recept Tayyip Erdogan confirmaient que l’avion a été abattu par la Syrie.
- L’avion turc était-il en mission de reconnaissance ou en une simple mission d’entraînement ? Il est légitime de croire que l’avion et ses deux pilotes étaient en mission opérationnelle au-dessus de la Syrie.
- Quel lien doit-on établir entre cette éventuelle action hostile de la part de l’Armée de l’Air turque contre la Syrie, une action qui doit se répéter depuis quelque temps sur la zone, et les pressions menées en toutes directions afin d’imposer des zones tampons ou de non-survol à la frontière syro-turque ?
- La Défense aérienne syrienne, qui bénéficie d’un soutien opérationnel russe et même iranien, a-t-elle choisi un timing « politique » ou « militaire » pour entrer en action contre des avions turcs ? L’état-major syrien entend-il réagir aux pressions internationales visant à imposer un fait accompli dans des zones frontalières avec la Turquie, ou voulait-il réagir à l’échec retentissant subi le 21/06 avec « l’exfiltration » vers la Jordanie d’un colonel de l’Armée de l’Air avec son MiG-21 ?
Quoiqu’il en soit, l’Armée de l’Air turque a perdu un avion de combat au-dessus de la Syrie, et cela est un fait indéniable. Un avion “américain” abattu par un missile “russe”… Cela suppose que l’Armée de l’Air turque, qui est par ailleurs engagée actuellement dans des opérations chirurgicales contre le PKK, est également opérationnelle sur le front syrien. Cela suppose aussi que la Défense aérienne, au profit de laquelle Damas et Moscou avaient signé d’importants contrats au cours des dernières années, et qui bénéficie aussi d’un appui iranien, est appelée à monter au créneau dès que nécessaire, et à réagir au quart de tour pour pallier aux violations de l’espace aérien syrien par des avions « coalisés » ou aussi pour envoyer des messages à l’Armée de l’Air syrienne elle-même (après l’affaire du MiG-21 réfugié en Jordanie).
Le bras de fer entre la Syrie et la communauté internationale (y compris la Jordanie et la Turquie pour ce que ces deux pays représentent au niveau de leur ancrage dans le camp atlantiste) se durcit, sur fond de durcissement de la position officielle russe, avant un nouveau round de tractations avec Washington. Cela commence à se traduire par une militarisation accrue des rapports frontaliers entre la Syrie et ses voisins, turcs, jordaniens et libanais notamment.