Un MiG-21 syrien, piloté par un colonel identifié comme étant Hassan Merhi al-Hamadé, s’est posé le 21/06 vers 11h sur la base militaire du roi Hussein, à 80km au nord-est de la capitale jordanienne Amman. Damas a aussitôt confirmé l’atterrissage, « en urgence », du MiG-21 syrien en Jordanie, précisant que le pilote était « en mission d’entraînement près de la frontière syrienne sud » lorsque le contact a été perdu avec l’avion. Le Ministre jordanien de l’Information n’a pas tardé à « rassurer » les autorités syriennes, en leur annonçant que le pilote syrien demande l’asile politique en Jordanie. Dans l’histoire de l’Armée de l’Air syrienne, il y a eu pire. Des pilotes de l’Armée de l’Air syrienne (dont un pilote palestinien) avaient fait défection en se réfugiant en Irak, le frère ennemi de la Syrie, en 1968 et en 1976, avec des avions modernes à l’époque, du bloc soviétique, (des MiG-17/-21/-23), avant qu’un pilote syrien n’aille, en 1989, poser son MiG-23 en Israël. Aujourd’hui, en plein conflit interne, cette action d’un pilote syrien, de l’Armée de l’Air et du grade de colonel, mérite d’être évaluée sous une multitude d’angles :
- La Jordanie, alliée des Etats-Unis et des monarchies du Golfe, et hostile politiquement au régime syrien depuis le déclenchement de la rébellion notamment, se retrouve ainsi au cœur d’un nouveau conflit avec Damas, après avoir adopté pendant plusieurs mois une politique de réserve à l’égard des évolutions internes en Syrie. Cela affectera les rapports entre Damas et Amman, d’une manière ou d’une autre.
- L’impact, d’une telle désertion, spectaculaire, d’un officier de l’Armée de l’Air avec son avion de combat, sera conséquent sur le plan médiatique et au niveau de la propagande menée contre le régime. Cela affaiblirait davantage l’image de « l’Armée comme pilier du régime », et déstabiliserait l’image de cohésion et d’union que le régime s’efforce de donner entre la classe dirigeante et l’Armée nationale avec la place centrale qu’on a toujours voulu attribuer à l’Armée de l’Air dont était issu le Président Hafez el-Assad lui-même.
- La désertion d’un colonel de l’Armée de l’Air, avec son MiG-21, vers un pays voisin « hostile », porte un coup dur à la crédibilité de la Direction du Renseignement de l’Armée de l’Air, le service de renseignement militaire le plus aguerri et le plus efficace du système. On pourrait s’attendre à une susceptibilité encore plus grande au sein de l’Institution militaire, et maintenant au sein même de l’Armée de l’Air qui vient d’entrer en action contre les insurgés. Des MiG-21 ont été aperçus dernièrement au-dessus de Hamah, dans des missions de reconnaissance semble-t-il, alors que les hélicoptères syriens sont désormais totalement engagés dans la guerre contre les rebelles. Si les rumeurs sur la dotation des rebelles syriens en systèmes sol-air se confirmaient dans les faits, avec des succès visibles et vérifiables contre des aéronefs, cela contribuerait encore plus à démystifier l’Armée de l’Air syrienne, bien plus peut-être que lors du « carnage » du début des années 80 au-dessus de la Béqaa libanaise (près de 80 avions abattus par les chasseurs israéliens).
- Cette affaire, qui souligne un début de déstabilisation de l’Armée de l’Air syrienne, coïncide avec la polémique qui vient d’éclater entre Washington et Moscou sur la livraison, non confirmée, de nouveaux hélicoptères d’attaque russes aux forces armées syriennes. Il s’agirait, en fait, d’anciens appareils syriens, remis en état en Russie, et en cours de réacheminement vers la Syrie, des appareils qui ne seront finalement pas livrés aux Syriens sous la pression internationale (à moins que les Russes n’aillent jusqu’à mettre à exécution leur menace de placer le cargo sous pavillon russe et de livrer le matériel aux Syriens). Ces deux affaires, celle du MiG-21 réfugié en Jordanie et celle des Mi-25 non livrés à la Syrie, coïncident avec de folles rumeurs sur le maintien du programme MiG-29 syrien et sur la livraison programmée dans quelques mois de plusieurs exemplaires modernes de cet avion de défense aérienne russe à Damas…
La pression internationale sur Moscou grandit pour obtenir le gel des programmes d’armement au profit du régime syrien, alors que la Ligue des Etats arabes vient, à son tour, d’appeler la Russie à arrêter ses livraisons d’armes à Damas. Moscou réaffirme, certes, sa position de principe aux côtés du régime syrien et pour un règlement qui ne passe pas nécessairement par le renversement du régime Assad, mais le gouvernement russe « lâche » quelques signes de flexibilité lorsqu’il accepte, sous la pression, de renoncer à livrer à la Syrie les hélicoptères remis en état et upgradés, et lorsqu’il exige de Damas de démentir les informations révélées par l’allié iranien (IRIB, 18/06) sur l’organisation au cours des prochaines semaines d’importantes manœuvres multilatérales dans les eaux territoriales syriennes et sur le sol syrien (Syrie, Iran, Russie, Chine : 900.000 hommes, 400 avions, 1.000 chars, navires de guerre, des centaines de missiles, etc.). La désertion du pilote syrien avec son MiG en Jordanie, avec ce que cela traduit comme risque au niveau de la cohésion de l’Armée de l’Air et de la solidité de son engagement aux côtés du régime, ne risque-t-elle pas d’inquiéter encore plus les Russes, principaux partenaires militaires de la Syrie, et d’attiser leurs craintes quant à la sûreté de leurs systèmes d’armes modernes demandés par Damas ?