Arabie saoudite : Repositionnement tous azimuts au sein de la famille royale

par Fadi  Assaf.

Le Roi Abdullah Ben Abdulaziz a longtemps cohabité, politiquement, avec ses demi-frères du clan Sudaïri. Il a été le Prince héritier du Roi Fahd Ben Abdulaziz dont il assurait pratiquement les fonctions au cours des dernières années de son règne pour cause d’incapacité physique. Il a eu pour Prince héritier Sultan Ben Abdulaziz dont les problèmes de santé l’ont détourné de l’exercice réel du pouvoir au cours des dernières années. Ce fut le cas aussi de son deuxième Prince héritier Nayef Ben Abdulaziz qui aurait survécu un an presque à Sultan.

Les obsèques du Prince héritier Nayef Ben Abdulaziz, décédé le 16/06 en Suisse, ont eu lieu le 17/06 à La Mecque, en présence du Roi Abdullah, 89 ans, et du Ministre de la Défense le prince Salman Ben Abdulaziz qui est pressenti pour succéder à Nayef au poste de Prince héritier.

Avant, pendant et après les obsèques, Salman s’est retrouvé au cœur de l’évènement, hyper-médiatisé par des médias sous contrôle familial. Mais une question se pose d’ores et déjà : son état de santé lui permettra-t-il d’assumer pleinement ses fonctions de Prince héritier, et éventuellement de succéder au Roi Abdullah ? Devant cette incertitude, il semble que la direction saoudienne, et le « Comité d’allégeance » (supposé désormais faire les choix en matière de succession et dont le Président le prince Mishaal Ben Abdulaziz multipliait au cours des derniers mois les contacts internationaux y compris dans les capitales européennes qui comptent et à Washington), aient opté pour une organisation optimale : un Prince héritier qui occupera aussi le poste de premier vice-Premier ministre, « secondé » par un deuxième vice-Premier ministre. Abdullah sera ainsi secondé par un tandem du clan Sudairi, Salman Ben Abdulaziz comme Prince héritier et premier vice-Premier ministre et Sattam Ben Abdulaziz, l’actuel gouverneur de Riyad (qui a succédé à ce poste au prince Salman), comme deuxième vice-Premier ministre. Cela offre une meilleure visibilité au niveau du pouvoir, pour éviter d’être bousculé et pris de court comme avec Nayef Ben Abdulaziz. Ce dernier, qui avait gardé le portefeuille de l’Intérieur en devenant Prince héritier, comme l’avait fait avant lui Sultan qui était resté Ministre de la Défense en devenant Prince héritier, n’a pas voulu avoir un deuxième vice-Premier ministre, alors qu’il avait exigé pour lui ce poste pour seconder le tandem Abdullah-Sultan. Il s’avère que la nomination d’un deuxième vice-Premier ministre soit une sorte de garantie, souhaitée par la famille et encouragée par les alliés internationaux, pour assurer donc une visibilité plus grande du système de gouvernance à Riyad.

Un autre enseignement que le Roi Abdullah (qui n’a pas de « frères » de sa mère issue de la puissante tribu des Chammars et donc pas de clan sur le modèle de ses demi-frères Sudairis) a dû tirer de ses dernières années au palais : rien ne garantit aux fils du Roi, ou du Prince héritier, une survie politique après sa disparition. Sauf, peut-être, des arrangements concrets établis du vivant du souverain (ou du Prince héritier). Le cas se pose avec acuité pour la « deuxième génération », les petits-fils du roi fondateur Abdulaziz.

Les fils du roi Fayçal ont réussi à se maintenir dans le giron du palais, pour des raisons liées plus à l’aura du Roi et à la personnalité de ses fils et à l’avantage qu’ils avaient pu avoir par rapport aux autres membres de la famille de leur âge (éducation, relations internationales, etc.). Mais leur poids relatif est resté en évolution permanente, jusqu’à aujourd’hui, même si les fils du Roi Fayçal ont accédé, avant les autres petits-fils du Roi Abdulaziz, aux postes de premier rang : il y a la maladie qui empêchera le Ministre des Affaires étrangères le prince Saoud el-Fayçal de poursuivre sa progression ; il y a « l’épuisement » du rôle régional et international joué par l’ex-chef des RG et ex-ambassadeur à Washington le prince Turki el-Fayçal… ; un survivant à la fratrie, semble être le prince Khaled el-Fayçal, actuel gouverneur de La Mecque depuis 2007 (un poste que son propre père, le roi Fayçal, avait occupé).

Les fils du roi Fahd Ben Abdulaziz, très en vue lors du règne du père, s’éclipsent progressivement à sa mort. Parmi eux, certains ont fait de la résistance, comme le fils préféré du roi Fahd, le prince Abdulaziz Ben Fahd Ben Abdulaziz, dit « Azzouza », qui est resté quelque temps Ministre d’Etat et directeur de cabinet du Premier ministre, avant de se rabattre à nouveau sur ses affaires. Les fils du Prince héritier Sultan Ben Abdulaziz, qui s’étaient préparés à monter d’un grade à l’accession de leur père au pouvoir, s’accrochent tant bien que mal : le SG du Conseil pour la Sécurité Nationale, l’énigmatique ex-ambassadeur à Washington Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz est « en réserve de la monarchie » depuis quelque temps, alors que son frère le prince Khaled Ben Sultan Ben Abdulaziz, promu au rang de vice-Ministre de la Défense, après avoir passé de longues années comme Ministre adjoint de la Défense aux côtés de son père, vit une précarité politique évidente, malgré sa position officielle à la Défense. Il y a aussi le prince Mohammad Ben Fahd Ben Abdulaziz, gouverneur de la riche province Orientale depuis 1985, et qui a été aussi adjoint du Ministre de l’Intérieur. Si son frère Bandar est en perte de vitesse, en attendant une hypothétique occasion pour rebondir, et si son autre frère Khaled s’interroge sur sa capacité à continuer à surfer sur la vague de ses supposés « exploits » au Ministère de la Défense (aux côtés du général Schwarzkopf lors de la guerre d’Irak ou contre les rebelles Houthis du Yémen…), il semble que Mohammad Ben Fahd soit assuré de survivre aux changements actuels grâce à son ancrage à la Province orientale et grâce aussi au rôle qu’il peut être amené à jouer pour étouffer les instabilités locales…

Il y a désormais aussi les fils du Prince héritier défunt Nayef Ben Abdulaziz, notamment Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz, « l’ennemi numéro un » d’al-Qaëda et le champion de la lutte contre le terrorisme dans le royaume, qui est assuré, grâce à une convergence d’intérêts entre la famille et les alliés américains notamment, de survivre à la disparition de son père, même si aucune garantie ne peut lui être fournie quant à la pérennité de son rôle dans le système politique familial. Sa garantie reste sa capacité de « délivrer » au Ministère de l’Intérieur, qui, elle, dépendra en partie, de sa capacité de cohabiter avec le prochain Ministre de l’Intérieur (qui pourrait être l’actuel vice-Ministre de l’Intérieur le prince Ahmad Ben Abdulaziz, un bon choix pour Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz qui aura toujours la pleine liberté d’agir au ministère, comme du temps de son père).

De tout cela donc, le Roi Abdullah doit comprendre l’urgence qui se pose à lui aujourd’hui d’imposer ses fils à des postes qui soient à la fois « pérennes » et « évolutifs ». Il doit s’occuper notamment du prince Abdulaziz Ben Abdullah Ben Abdulaziz, qui est vice-Ministre des Affaires étrangères et conseiller spécial du Roi, du prince Mitaab Ben Abdullah Ben Abdulaziz, promu Ministre d’Etat et commandant de la Garde nationale (qui vient d’être reçu, avec tous les honneurs, par le nouveau Président français François Hollande à l’Elysée, en marge de sa visite au salon de l’armement Eurosatory), et du prince Mishaal Ben Abdullah Ben Abdulaziz qui est gouverneur de la stratégique et délicate région frontalière (avec le Yémen) de Najran. Celui qui posera le plus de problème à être « recasé » rapidement et de manière durable, semble être le prince Abdulaziz Ben Abdullah, alors que les rôles sécuritaires, et les dimensions internationales de ces rôles (l’importance de la Garde nationale pour les Américains et l’importance de la stabilité de Najran sont évidentes), des deux autres principaux fils du Roi Abdullah, Mitaab et Mishaal, doivent leur offrir l’assurance d’une longue survie politique après la disparition de l’actuel souverain.

Très vite aussi, on doit s’attendre à ce que les ambitions des fils du (futur) Prince héritier Salman Ben Abdulaziz, et des fils du (futur) deuxième vice-Premier ministre (Sattam Ben Abdulaziz), entrent, en force, dans le jeu politique familial et national. Les choses ne manqueront pas de se compliquer avec le temps, et tant que le « système » politique saoudien restera ainsi figé, et bloqué par un archaïsme pour le moins décalé…

 

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