Par Fadi Assaf.
Sur les chaînes de télévision libanaises, les nouvelles stars des talk-shows politiques s’appellent cheikh Ahmad el-Asir, cheikh Omar Baqri Fustoq, Daïyatelislam Hassan Chahhal, cheikh Bilal Doqmaq. Ils représentent des tendances radicales de l’islam sunnite, et sont porteurs de messages, pour le moins nouveaux dans le contexte socioculturel et politique libanais. Ils sont tolérés, de plus en plus, et leur auditoire dépasse progressivement les noyaux durs sur lesquels ils ont bâti leur notoriété sectaire et locale.
Ils commencent à concurrencer une star médiatique qui reste toutefois indétrônable, le Secrétaire Général du Hezbollah sayyed Hassan Nasrallah, et qui a réussi, grâce à un message bien construit et à un charisme certain, à entrer lentement mais sûrement dans les foyers et à rendre son discours politique et même socioreligieux audible au-delà de son environnement immédiat.
Le clergé chrétien est lui aussi bien présent dans les médias, à travers des institutions qu’il contrôle directement comme Télé Lumière et Nour Sat, mais il se fait discret, d’un point de vue politique et même social, comme le lui impose peut-être une marginalisation regrettable mais vérifiable de la communauté chrétienne dans les affaires politiques libanaises. Le clergé chrétien profite, généralement, d’un calendrier religieux chargé pour s’exprimer en politique, et cherche à profiter, de plus en plus rarement il est vrai, d’un évènement politique pour exposer des idées autres que nationales, même si l’intérêt de la communauté demeure, naturellement, au centre de ses préoccupations.
C’est d’ailleurs le cas aussi pour les représentants des institutions religieuses musulmanes officielles, notamment pour Dar el-Fatwa (Sunnite) et Majlis al-Islami el-Chii al-Aala (Chiite), qui se tiennent à un discours officiel national, même si ce discours touche souvent directement aux affaires politiques et à celles concernant l’intérêt des communautés religieuses.
Les tenants du discours religieux officiel, qu’ils soient Chrétiens ou Musulmans, sont désormais occultés par les propagandistes d’un discours plus radical et moins langue de bois, d’autant que les affaires de corruption et l’opacité qui ont pu toucher certaines institutions religieuses officielles leur font naturellement perdre de leur crédibilité… C’est surtout vrai pour l’islam militant, qu’il soit chiite ou sunnite.
Si le militantisme chiite, qu’incarne aujourd’hui dans sa dimension religieuse et politique, le Hezbollah, a réussi l’élargissement de son auditoire à la faveur de sa résistance nationale face à Israël, il semble que le militantisme sunnite, qu’incarnent aujourd’hui les cheikhs salafistes avec toutes les nuances qui s’imposent ici, soit bien parti pour poursuivre la banalisation de son discours y compris dans des milieux qui ne lui sont pas naturellement acquis. Dans un contexte confessionnel aussi tendu, au Liban et sur le plan régional, sur lequel se superpose un contexte géopolitique porteur lui aussi de contradictions confessionnelles saillantes, on s’identifie de plus en plus facilement à sa confession qui redevient subitement une valeur refuge… Les clivages politiques internes et géopolitiques régionaux rendent le schéma un peu moins simple, puisque, pour se limiter toujours au cas libanais et à ses ramifications régionales (Syrie, Iran, Arabie saoudite, Turquie), on ne peut que comprendre la facilité avec laquelle le discours d’un Hassan Nasrallah est suivi par les sympathisants du camp du 8 Mars et de l’axe syro-iranien, alors que le discours d’un cheikh salafiste est de plus en plus accepté par les sympathisants du camp du 14 Mars et de l’axe arabo-sunnite opposé au « croissant chiite ». Les Libanais replongent, unanimement presque, dans le confessionnalisme, et ouvrent grandes leurs portes aux discours religieux les plus radicaux.
Les médias jouent le jeu, ou suivent la tendance, c’est selon… La classe politique, qui peut monter la vague confessionnelle pour rester fidèle à son opportunisme maladif, doit reconnaître qu’elle est progressivement devancée par les courants religieux porteurs de discours politiques plus crédibles. On est bel et bien dans une radicalisation lente et sure de la société libanaise, d’autant qu’en Islam, il n’y a aucune distinction à faire entre politique et religion. Autrement dit, les tenants d’un islam authentique, aujourd’hui les salafistes, sont invités à occuper la scène politique, mais l’inverse n’est pas vrai pour la classe politique qui doit se contenter d’une surenchère religieuse et confessionnelle tombée dans le discrédit… Pourtant, sur les chaînes de télévision qui le tolèrent encore, les vraies stars restent, à tout moment, et face à toute concurrence politico-religieuse aussi déloyale soit-elle, les chanteuses de variétés, les danseuses dénudées, et les présentatrices osées… Un paradoxe qui cache bien des frustrations dangereuses à terme…