Au Liban, la neutralité voulue par certains, surtout par ceux qui ont une grande aversion pour le risque comme le Premier ministre Najib Mikati et le Président de la république Michel Slaïman, cède la place, lentement mais sûrement, à un clivage vertical de plus en plus violent et à une contagion de la scène libanaise par la violence syrienne. Le discours politique, toujours plus virulent, sombre dans un langage confessionnel et attise une violence partisane à peine dissimulée. Les incidents se multiplient entre pro et anti-Assad à travers le Liban, et l’Armée libanaise, et avec elle d’autres services comme la Sûreté Générale, se retrouve brusquement au centre de cette violence.
La géopolitique régionale impose son tempo sur la scène libanaise, et les tensions entre les acteurs sunnites régionaux (entendre l’Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats Arabes Unis et la Turquie principalement), et l’axe dit « chiite » (entendre le Hezbollah, le régime syrien et l’Iran), se superposent dangereusement à des clivages politiques et confessionnels dangereux. Devant le blocage de la situation en Syrie, où le régime contrôle toujours ses forces armées et de sécurité et bénéficie encore de soutiens toujours infaillibles de ses alliés iraniens et russes, et alors que le plan Annan reste l’unique plateforme de discussions acceptée de tous encore aujourd’hui, les partisans de la manière forte au sein de la communauté sunnite libanaise prennent le risque d’une escalade dans la rue. Ils peuvent mal interpréter les encouragements de certaines tendances radicales américaines (dont le sénateur américain Jo Libermann qui s’est déplacé dernièrement jusque dans les régions frontalières de la Syrie, ou du secrétaire d’Etat adjoint Jeffrey Feltman), et les signaux flous émanant de sponsors régionaux (tels l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie, etc). Ils peuvent aussi mal juger l’opportunisme de leur classe politique, à la veille des élections législatives de 2013, et s’embarquer, par réflexe communautaire surtout, dans des aventures sans lendemain.
Plus que tout, le combat mené sur le front syrien, qui est un combat politique certes, avec une dimension géopolitique indéniable, est en train de devenir aussi et surtout une guerre confessionnelle qui n’ose pas dire son nom. La fitna se réveille au Levant, attisée par les ingérences extérieures, régionales et internationales, et trouve un écho grandissant dans les deux camps.
Le camp chiite, qui bénéficie de la valorisante étiquette de la résistance contre Israël, fait de la résistance aussi en refusant de s’embarquer dans un conflit interne face au camp sunnite. Armé et organisé, le Hezbollah qui chapeaute ce camp au Liban sait faire preuve de retenue tant que sa capacité d’action stratégique n’est pas affectée. Le gouvernement Mikati et l’Armée libanaise offraient encore, au cours des derniers mois, cette zone tampon indispensable pour éviter la confrontation directe entre les deux camps. L’entrée en scène violente et inquiétante en Syrie et maintenant au Liban de courants religieux sunnites radicaux, et les attaques de toutes sortes contre le gouvernement qui se voulait neutre, et aujourd’hui contre l’Armée qui garantissait cette neutralité de l’Etat, viennent ébranler l’ensemble du schéma.
Une coalition de mouvements et de courants sunnites agit désormais à visage découvert contre l’influence chiite au Liban, contre le bras armé de la révolution iranienne au Levant, contre le camp qui offre une certaine légitimité chrétienne au Hezbollah, contre le gouvernement qui pensait rester indéfiniment à l’écart du conflit syrien, contre les diverses tendances sunnites inféodés à l’axe syro-Hezbollah, et maintenant contre l’Armée libanaise. Cette coalition, à laquelle se joignent volontairement des combattants syriens réfugiés au Liban où ils bénéficient d’un soutien logistique évident, risque de bénéficier, malgré sa propre volonté peut-être, d’un soutien violent de la part d’un réseau djihadiste global qui pointe son nez sur la scène libanaise. Cela suscite d’ailleurs l’intérêt de puissances internationales qui s’inquiètent du risque de voir le Liban se transformer d’une terre d’accueil pour al-Qaëda à une terre de djihad.
Les révélations se multiplient sur la présence active d’al-Qaëda au Liban, y compris dans des camps palestiniens, mais les informations sur la préparation par une filière indo-pakistanaise de l’organisation terroriste d’une opération de grande envergure (attaque chimique selon l’édition du 22/05 du quotidien al-Akhbar, proche du Hezbollah) contre un site aussi stratégique que l’Aéroport International de Beyrouth laissent redouter une transformation rapide du mode opératoire de l’organisation au Liban. Doit-on craindre des pressions supplémentaires pour déstabiliser le dispositif sécuritaire de l’Etat libanais (l’Armée, ses services de renseignements et ses forces spéciales, les Forces de Sécurité Intérieure et leurs services de renseignement, ainsi que la Sûreté Générale et les autres services opérationnels), en vue de discréditer les institutions et de les paralyser, et éventuellement aussi bloquer leur coopération avec leurs partenaires régionaux et internationaux ?