Sans vouloir anticiper la teneur des discussions qu’entreprend à Téhéran l’ancien Premier ministre français Michel Rocard (Le Figaro, 11/05), et les résultats immédiats ou différés de ces discussions, cette mission est en elle-même un signe d’ouverture du pouvoir socialiste en direction de la république islamique d’Iran. Ce premier contact, effectué avant l’installation à l’Elysée du nouveau Président François Hollande, ne manquera pas d’attiser les spéculations, dans les milieux dirigeants arabes, du Levant jusqu’au Golfe, sur une possible « rupture » de la politique moyen-orientale de Paris. Pour leur part, les Iraniens, qui ont consolidé leur place centrale dans le jeu géopolitique régional au cours des dernières années, et qui ne doivent pas regretter le pouvoir sarkozyste sortant, resteront pragmatiques en traitant avec cette ouverture française. Ils relativiseront cette initiative socialiste à leur égard, somme toute symbolique encore à ce stade, même si elle représente quelque part une évolution, très vite annoncée, par rapport à la politique iranienne du Président Nicolas Sarkozy. Une brèche dans la position radicale « atlantiste » de la France à l’égard de l’Iran, qui a besoin d’être élargie, certes, et une initiative qui nécessite d’être officialisée et consolidée.
Les Syriens, régime et Opposition, misent aussi sur un signe rapide du nouveau pouvoir socialiste pour tenter de déceler les grandes orientations de la politique régionale de la France au cours des prochaines années. Le régime de Bachar el-Assad ne pouvait espérer mieux que le départ de Nicolas Sarkozy. Pour autant, il a besoin de comprendre rapidement les intentions socialistes à son égard. L’Opposition syrienne, dont les drapeaux étaient visibles à la Bastille au soir du 6 mai, peut redouter le changement à Paris, même si, sur les grands principes liés aux droits de l’homme, aux libertés, à la démocratie, etc., sont partagés par l’ensemble de la classe politique française. Mais il y a fort à parier que, sur le dossier syrien, la réactivité du nouveau pouvoir français risque d’être longue, l’Iran étant, avec son dossier nucléaire et son positionnement régional, une priorité bien plus évidente pour Paris. La situation en Syrie, qui risque de sombrer dans une dangereuse « irakisation » et d’aller même vers la « libanisation », passera-t-elle derrière les relations avec l’Iran ? Téhéran n’est-il pas une des clés des règlements en Syrie, au Liban, et en Palestine, sans parler de l’Irak, du Golfe ? En tout cas, le « rayonnement » de l’Iran sur une multitude de scènes régionales, et ses ambitions nucléaires, font du dossier iranien une priorité pour tout acteur international impliqué dans les affaires du Moyen-Orient. Même en cas de repli, provisoire, pour s’occuper en priorité de questions franco-françaises et européennes, le nouveau pouvoir français trouvera utile d’engager le contact avec une puissance régionale établie, comme l’Iran. Il a commencé à le faire. Le dossier syrien attendra.
Ces questions ne tarderont pas à se poser au sein de la classe dirigeante arabe, celle des Etats du Golfe notamment, et qui ont misé, au cours des dernières années, sur une solidarité française « contre » l’Iran. Riyad, Abu Dhabi et les autres capitales arabes, ne tarderont pas à s’inquiéter de cette ouverture du nouveau pouvoir français à l’égard de l’Iran, même s’il s’agit encore aujourd’hui d’un contact de très basse intensité. Logiquement, Paris ne manquera pas d’envoyer ses émissaires auprès de ses amitiés arabes du Golfe, afin de relativiser cette initiative envers l’Iran et de réaffirmer la constance et la solidité des engagements pris la France à l’égard de ses partenaires arabes.