Par Fadi Assaf et Mona Sukkarieh.
Au cours des deux dernières années de son mandat, le président français Nicolas Sarkozy a dû subir, pour se limiter à cette partie du monde, une « surprise stratégique » au sud de la Méditerranée, à laquelle la France s’est invitée et y a probablement contribué aussi. Son successeur, François Hollande, hérite d’une situation chaotique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, alors que ses priorités du moment devraient être l’Europe et sa crise, et bien évidemment le social et l’économie.
Faisant preuve d’une maturité politique, des pays arabes proches de la France, comme le Qatar et les Emirats Arabes Unis, ou aussi le Maroc, ont très vite manifesté une volonté de maintenir le cap au niveau des relations bilatérales avec Paris, volonté qu’ils ont exprimée diplomatiquement par des félicitations rapides adressées à F. Hollande quelques heures après l’annonce du résultat du scrutin. Des régimes arabes « anti-Sarkozy », comme l’Algérie par exemple, misent sur le changement à Paris pour espérer un recentrage de leurs relations françaises. Cela pourrait être le cas aussi pour un régime passé de pro à anti-Sarkozy, comme le régime syrien, qui scrute les évolutions dans les pays qui pèsent sur l’échiquier régional. La Syrie, qui s’intéresse surtout au retour de Vladimir Poutine à la présidence russe, ne peut qu’espérer aussi une révision par la France de sa politique à son égard, avec le souhait sournois d’un désengagement de Paris du dossier syrien.
Tous ces pays de la région, arabes ou non, attendent déjà les prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis, pour espérer une visibilité plus pertinente de la situation régionale. Entre-temps, en attendant l’installation de Poutine et de Hollande chacun dans son fauteuil de président, et en attendant l’échéance présidentielle américaine, la situation dans la région est tout sauf figée. Les évolutions s’accélèrent, et n’attendront probablement pas que l’image à Paris, Moscou et Washington, soit stabilisée.
Pour se limiter à la France, qui vit un changement radical au niveau de sa direction, les régimes arabes, ceux qui vivent déjà une instabilité profonde ou ceux qui appréhendent la vague révolutionnaire, chercheront tous à gagner le soutien français lorsque cela est accessible, sinon à obtenir une neutralité française lorsque cela leur paraît utile. Il y a ceux qui voudraient capitaliser sur leurs relations traditionnelles avec la France, renforcées au cours des dernières années, comme le Qatar et les EAU, ou encore la Libye, pour préserver cet acquis et le consolider. Il y a ceux qui ont initié, timidement, des ouvertures sur la France, comme l’Irak de l’après-Saddam, ou aussi l’Algérie de Bouteflika et de ses généraux, pour faire le point sur la pertinence de leur politique française et les chances de poursuivre cette ouverture avec le nouveau pouvoir. Il y a les pays qui ont « perdu » la France, comme la Syrie, et pour lesquels, le départ de Nicolas Sarkozy pourrait annoncer un changement salutaire de la politique régionale de Paris (cela pourrait être le cas aussi pour une puissance régionale non arabe comme la Turquie, dont le Premier ministre annonçait le 07/05 l’ouverture d’une « nouvelle page » entre son pays et la France).
Mais au-delà de la dimension bilatérale, leurs interrogations portent aussi et surtout sur la place que la France entend et pourra occuper sur la scène moyen-orientale, et sur le degré d’implication de Paris dans les affaires arabes, alors qu’on comprend, d’ores et déjà, que les priorités du président socialiste risquent de ramollir l’action française au Moyen-Orient.
Pour tous ces pays arabes, il y a un temps mort à attendre au niveau de l’implication française sur la scène régionale, le temps que le nouveau pouvoir socialiste s’installe, que sa politique « arabe » et « moyen-orientale » soit clarifiée, que ses outils de rayonnement extérieur soient identifiés.
Pour le moment, les dirigeants arabes comprennent bien le besoin d’une réévaluation générale de la politique extérieure et moyen-orientale de la France par son nouveau président, mais ils savent bien également la place qu’occupera, tôt ou tard, cette région, avec ses marchés, ses problèmes, sa géopolitique, etc., dans toute politique extérieure de n’importe quel pouvoir français. Certains espèrent un temps mort dans l’implication française (Syrie), d’autres (Arabie saoudite, Qatar, Libye) tout le contraire. Certains espèrent un désengagement français de certains dossiers sensibles, d’autres, au contraire, espèrent une plus forte implication française. Faut-il craindre une période creuse pour la présence française au Moyen-Orient, au niveau diplomatique, politique, militaire, culturel et économique ? Ou, au contraire, faut-il espérer une volonté, rapide, chez les partenaires de la France (EAU, Qatar, Arabie saoudite, Irak, Libye, Algérie) d’intéresser le nouveau locataire de l’Elysée aux opportunités de leurs marchés, pour ainsi gagner une présence française solide et une coopération constructive avec Paris ?
[box style=”rounded” border=”full”]François Hollande : Une image qui reste à construire
Après plusieurs mois de campagne électorale, les Français ont choisi François Hollande pour les cinq années à venir. Quelles sont les réactions dans la presse arabe ? Quelle image ont pu capter les médias arabes des deux candidats arrivés au second tour ? Middle East Strategic Perspectives propose un tour d’horizon des principaux quotidiens arabes, pour dresser à chaud et en attendant une meilleure visibilité, le portait express du nouveau Président, et au-delà, de la France, tels qu’ils sont perçus dans le monde arabe.
Curieusement, les journaux se sont attardés sur la défaite de Nicolas Sarkozy plutôt que sur la victoire de François Hollande, candidat peu connu, ou méconnu, dans le monde arabe. Pour les deux principaux quotidiens panarabes à diffusion internationale, Al-Hayat propriété du groupe de presse du prince Khaled Ben Sultan Ben Abdulaziz, vice-ministre de la défense de l’Arabie saoudite, et Asharq al-Awsat, du groupe de presse d’un autre membre éminent de la famille royale saoudienne le prince Salman, ministre de la défense et candidat au trône, la droitisation du discours du Président-Candidat, afin de séduire l’électorat du Front National en insistant sur l’immigration et la stigmatisation de l’Islam, a fini par aliéner les électeurs du centre et lui a couté la Présidence.
Contrairement à Al-Hayat qui n’a consacré au lendemain de l’élection qu’un article, plutôt bref et dans un style désintéressé malgré une présence régulière et soutenue à Paris auprès des milieux décisionnaires, Asharq Al-Awsat a rapporté le résultat des élections en signalant le virage à gauche de la France dans un article bref, suivi d’une série d’articles offrant au lecteur un background sur ces élections. Le journal évoque, entre autres, la stratégie électorale du Président sortant qui s’est retournée contre lui, et dresse un portrait approximatif du Président élu François Hollande, ce candidat « gentil », « souriant », « sans expérience », qui préfère « éviter les problèmes » mais qui a fini par surprendre tout le monde en menant une « bonne » campagne électorale, sans « fautes majeures ».
Au Maghreb, l’élection de François Hollande est accueillie avec soulagement par la presse, à l’image du quotidien tunisien francophone Tunis Tribune qui rapporte les principales réactions de la classe politique tunisienne à l’annonce des résultats et titre « La Tunisie Soulagée par la défaite de Sarkozy ». Nadia Bouaricha du quotidien algérien El-Watan a reconnu qu’il y a « de ce côté de la Méditerranée une franche aversion pour les propos anti-musulmans qui ont émaillé le quinquennat sarkozyste. Sans lui, je crois que les étrangers se sentiraient mieux sous le ciel de France. » Tout en saluant le grand moment de démocratie, la presse maghrébine n’est pas spécialement élogieuse à l’égard de M. Hollande mais considère simplement qu’il sera « moins mauvais » que M. Sarkozy. El-Watan dresse un portrait de celui qui a « défait le sarkozysme » et entretient l’espoir d’une « refondation des rapports de la France avec ses partenaires du sud et plus particulièrement avec l’Algérie ».
Au Liban, où le Président a recueilli une majorité confortable parmi les binationaux, le quotidien de gauche Al-Akhbar a titré, la veille de l’élection, « Adieu Sarkozy… Bienvenue Hollande », saluant la fin du Sarkozysme et soulignant la « vague d’optimisme » qui envahit le monde arabe (« à l’exception des rebelles Libyens et de certains opposants syriens ») avec la défaite attendue du Président.
En Syrie, la presse officielle se félicite de la défaite de M. Sarkozy. Le quotidien Al-Watan salue la «France libre» et titre en Une : “Le duo Sarkozy-Juppé dans les poubelles de l’histoire“.
En Egypte, al-Shourouk retient que M. Hollande s’est engagé à limiter l’immigration et a déclaré son soutien à l’interdiction du port du voile intégral (burqa ou niqab).
Beaucoup se félicite donc de la défaite du Président Sarkozy sans que cela ne se traduise par un engouement pour M. Hollande. Candidat peu connu, il suscite une incertitude. Aperçu à travers le prisme de la presse française, on lui attribue un manque de charisme, on s’interroge sur ses capacités à gérer un pays comme la France, vu son manque d’expérience. Malgré son engagement pour les causes arabes à la fin de son mandat, Nicolas Sarkozy est surtout associé à une politique stigmatisant l’Islam. Naturellement, l’élection de François Hollande est vécue comme un soulagement et est anticipée comme une rupture avec les pratiques de ces dernières années. Plus qu’un avis réfléchi et soupesé, cela ressemble plus à une photo instantanée, prise le weekend de l’élection présidentielle. Une photo qui devrait encore évoluer, dans un sens ou dans l’autre, avant de pouvoir anticiper comment s’orienteront les relations franco-arabes au cours des cinq prochaines années.[/box]