Par Fadi Assaf. Rédigé le 9 Avril 2012.
Les autorités émiraties doivent maintenant gérer deux nouveaux fronts, qui ont tous les deux une double dimension interne et externe. Il s’agit de pressions qu’exercent sur elles, séparément mais simultanément, les Frères Musulmans et l’ONG américaine National Democratic Institute. Aux EAU, les Frères Musulmans et le National Democratic Institute sont dans le même camp, en quelque sorte, face au pouvoir. Qu’en est-il du Qatar, de la France et des Etats-Unis ?
Les Frères Musulmans sont venus en renfort pour porter assistance aux opposants syriens qui résident aux EAU et qui n’ont pas hésité à violer les lois locales pour manifester leur opposition au régime de Bachar el-Assad, avec les encouragements du prédicateur égyptien al-Qardaoui basé à Doha et soutenu par al-Jazeera. Si Paris soutient, ouvertement, l’Opposition au président Bachar el-Assad, le gouvernement français, en période électorale, n’a pas hésité à interdire la venue en France du même Qardaoui, dont les prêches enflamment les banlieues, et dont le sponsor politique, l’émir du Qatar cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, poursuit sa progression économique et financière dans ce pays d’accueil. Paris, qui ne semble toujours pas craindre l’arrivée en Syrie des mêmes Frères Musulmans qui contrôlent désormais l’Egypte, ni même les Salafistes qui contrôlent le reste des pays du « printemps arabes », est en phase avec les dirigeants d’Abu Dhabi et de Dubaï lorsqu’il s’agit de contenir les excès et les dépassements d’un Qardadoui.
Avec une perception différente des choses, Paris et Abu Dhabi ont la même appréhension en évaluant le poids de l’ingérence extérieure, celle des Islamistes et des Frères Musulmans dans ce cas précis, sur la politique et la stabilité interne. Paris, Doha et Abu Dhabi ne paraissent donc pas toujours et automatiquement sur la même longueur d’ondes, même si ces trois pays ont constitué, lors de « l’opération Libye », une tête de pont arabo-occidentale contre le régime de Mouammar Kadhafi, Mirage et Rafale à l’appui…
Abu Dhabi ne peut pas faire de concessions lorsqu’il s’agit de la stabilité interne des EAU, d’autant que les Frères Musulmans ne sont pas, loin s’en faut, le modèle sociopolitique espéré pour les émirats post-printemps arabe. Paris, qui pourrait atténuer ses réticences à l’égard des Islamistes après l’élection présidentielle, ne pourra pas non plus, Mohammad Merah et Forsan al-Izza obligent, rouvrir ses portes et ses banlieues aux Frères Musulmans version Qardaoui. C’est au Qatar, un « actionnaire » minoritaire mais ambitieux de la France, qu’il convient de demander des concessions pour pouvoir préserver l’axe franco-qataro-émirati utile pour la poursuite de plusieurs dossiers régionaux, bilatéraux et multilatéraux… La fermeté d’Abu Dhabi (et de Dubaï) et celle de Paris à l’égard de Qardaoui et de ce qu’il représente semble être payante, pour le moment, le Qatar ayant su faire la part des choses et ménager la chèvre et le chou…
Le National Democratic Institute est venu en renfort aux minorités spoliées aux EAU, aux femmes discriminées, mais surtout, l’ONG américaine est venue attiser des revendications démocratiques, encore timides, parmi les nationaux et les résidants. Là aussi, les autorités ont fait preuve de fermeté à l’égard d’une partie tierce, extérieure, accusée d’ingérence dans les affaires internes des EAU, en fermant les bureaux de l’organisation et en expulsant les membres.
Les Frères Musulmans ont derrière eux une organisation structurée et bien ancrée dans plusieurs pays de la région, notamment en Egypte, et qui bénéficie du soutien direct du régime wahabite du Qatar en dépit de divergences notoires dans leurs interprétations de l’exercice du pouvoir politique. Le National Democratic Institute a derrière lui, d’une certaine façon, les Etats-Unis, « le monde libre », et les défenseurs de la démocratie etc.
Finalement, les Frères Musulmans et le National Democratic Institute demandent la même chose aux autorités émiraties : plus de liberté d’expression… Les Frères Musulmans le demandent au nom de la solidarité islamique et d’un projet politique régional, au profit de l’Opposition syrienne sunnite et islamisée qui a du mal à s’exprimer librement aux EAU… Le National Democratic Institute demande plus de liberté, de manière absolue, à toutes les composantes de la société civile émiratie, y compris donc les « opposants politiques » de tous bords… Pourtant, les EAU, qui ne sont pas un modèle de liberté ou de démocratie, sont bien mieux classés sur ce registre que le Qatar par exemple, ou aussi l’Arabie saoudite. Ils ne sont pas prêts encore, pas plus que le Qatar ou l’Arabie saoudite, à gérer leur « printemps », et ont aussitôt réagi avec la plus grande virulence à ces ingérences extérieures, « islamistes » ou « démocratiques », dans leurs affaires internes…
Comme pour le Qatar qui n’a pas voulu risquer ses relations avec les EAU, et qui a les moyens de détourner Qardaoui vers d’autres scènes plus porteuses, les Etats-Unis ne semblent pas disposés à risquer leurs relations non plus avec Abu Dhabi au nom de quelques revendications hâtives et mal calculées d’une démocratie toujours improbable aux émirats… La fermeté des dirigeants émiratis aura été doublement payante.
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